Bureau malien du droit d’auteur : les artistes entre méfiance et méconnaissance

Au Mali, les artistes entendent beaucoup parler du bureau malien du droit d’auteur (BUMDA) et savent que c’est une structure importante pour eux. En revanche, nombreux ne la connaissent pas vraiment. Une méfiance couplée à une certaine méconnaissance plane dans l’air et rend compliquées les relations entre le BUMDA et les artistes.

« Nous sommes victimes d’un système qui parfois, nous explique le concept vaguement, d’une manière trop biaisée afin de mieux nous exploiter », martèle un musicien sous couvert d’anonymat, rencontré à l’Institut français de Bamako. La question, à maintes reprises, a été remuée dans tous les sens mais l’incompréhension demeure. Pour bon nombre d’artistes, les responsables chargés de gérer leur droit d’auteur ne font pas assez.  

Historique du bureau malien du droit d’auteur

Comme dans plusieurs pays de la sous-région, au Mali, nous avons un bureau malien du droit d’auteur. Il est chargé de faire en sorte que les artistes dont les œuvres sont recensées, puissent entrer en possession de ce qui leur revient de droit après exploitation de leurs produits.

Avant sa mise en place, les artistes maliens qui avaient la chance d’émerger, confiaient la gestion de leur droit d’auteur à des entreprises européennes, parmi lesquelles nous pouvons énumérer la plus célèbre de l’époque qui opère jusqu’à présent : la SACEM.

Le bureau malien du droit d’auteur (BUMDA), qui par le passé s’abrégeait BMDA, existe depuis maintenant plus d’une quarantaine d’années. Il a été créé le 27 novembre 1978, par l’ordonnance N°78-49, suite à l’ordonnance N°77-46/CMLN du 12 Juillet 1977, qui a fixé le régime de la propriété littéraire et artistique au Mali. A l’époque, cette structure était sous la tutelle du ministère des sports, des arts et de la culture. Ministère qui, aujourd’hui, a été scindé en deux pour donner d’un côté, le ministère de la Jeunesse et des Sports, et de l’autre, le ministère de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme. Le bureau malien du droit d’auteur est un élément de ce second département, qui a pour mission de promouvoir la culture malienne de manière général.

La vision du BUMDA

Ce bureau collabore avec les bureaux de droit d’auteur de quelques pays voisins comme celui de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la Guinée Conakry ainsi que celui du Burkina Faso.

La vision du BUMDA est pluridisciplinaire. Il représente les artistes, en gardant un œil protecteur sur leurs productions auprès des radios, des télévisions, du public et de tous les autres consommateurs. Il a le pouvoir d’interdire ou de donner l’autorisation d’exploiter des œuvres artistiques enregistrées.

Suivant des textes qui jusqu’à ce jour sont en vigueur, il est une sorte d’intermédiaire entre les artistes et les consommateurs, avec des protocoles qui obligent ces derniers à lui verser des droits forfaitaires afin qu’à son tour, il verse un pourcentage aux artistes inscrits et reconnus comme professionnels.

Un système assez classique qui ainsi, met en valeur le respect du droit patrimonial et moral, qui valorise la créativité. La mission du bureau est donc la perception et la répartition des droits au niveau des artistes.

Le BUMDA bat de l’aile

Aujourd’hui, hélas, le BUMDA est en difficulté. Si certains artistes arrivent à toucher leur droit, d’autres se plaignent fréquemment de plusieurs difficultés auxquelles ils sont confrontés comme l’impossibilité de rentrer en possession de ce qui leur revient bien qu’ils soient enregistrés.

Seuls les artistes les plus notoires arrivent à en profiter. Mylmo, l’un des rappeurs maliens les plus connus témoigne à cet effet qu’il ne rencontre pas de difficultés à propos de ses droits d’auteur. Le seul souci selon lui, est que les droits d’auteur sont partagés entre toutes les disciplines artistiques : cinéma, photographie, peinture, théâtre, musique, littérature… Donc, les artistes se plaignent juste du fait que ce qu’ils touchent est parfois insignifiant. Des artistes comme Tal B et Baba Mariko vont dans le même sens en déclarant qu’ils n’ont pas rencontré de véritables problèmes également : « Au niveau du bureau malien de droit d’auteur, je n’ai pas rencontré de gros problèmes. J’ai eu facilement ma première et ma seconde carte d’artiste. Depuis l’enregistrement de mon premier album au sein du bureau jusqu’à mon troisième album, je touche régulièrement mes droits. Peut-être, j’ai juste de la chance, contrairement à certains de mes amis qui n’arrivent toujours pas à rentrer en possession de leur droit », explique Baba Mariko.

A la situation de ces artistes qui n’arrivent pas à toucher leur droit, la directrice du bureau malien des droits d’auteur, madame Diallo Aida Koné rappelle que le fait qu’un artiste soit enregistré au BUMDA ne signifie pas automatiquement que ce dernier doit percevoir des droits d’auteur. Pour qu’il y ait perception de droit d’auteur, il doit y avoir au préalable exploitation d’une œuvre.

Elle a fait savoir également que le bureau rencontre quelques difficultés car tous les consommateurs du domaine public ne se soumettent pas au payement des droits d’auteurs. « Nous nous battons pour que les gens comprennent l’importance du payement de ces droits. Que ce soit les bars, les boîtes de nuits, les radios, les télévisions, les sociétés téléphoniques et tous les autres, nous n’arrêtons pas de les sensibiliser. »

Concernant Orange Mali et les difficultés de payement des droits des morceaux utilisés en sonnerie ou en guise de musique de répondeur, Madame Koné a fait savoir que ce qui lie le bureau malien du droit d’auteur à Orange est loin d’être un contentieux : « C’est plutôt une loi. La loi numéro 20-17, voté le 1er juin 2017, fixant régime de la propriété littéraire et artistique au Mali, qui, en son article 180, stipule que les sociétés de téléphonie mobile sont soumises au payement de la redevance des droits d’auteur. Actuellement, nous sommes à la mise en œuvre de cette loi. Donc, ce n’est pas nous le bureau, c’est la loi qui le dit et donc, ces sociétés de téléphonie sont obligées de payer ce qu’elles doivent. »

La débrouillardise du côté des artistes

Malgré les efforts fournis par le BUMDA et ses collaborateurs, la piraterie demeure le premier ennemi en matière de droits d’auteur au Mali : « Ce phénomène a engendré un grand changement dans l’industrie artistique et mis profondément en cause la rentabilité », affirme la directrice du BUMDA. Elle a ajouté qu’à cet effet, une commission spéciale de lutte contre la piraterie a été mise en place par le bureau malien du droit d’auteur.

Vu que le BUMDA peine à gérer la situation, les artistes maliens ont adopté des stratégies qui pour certains, sont assez rentables, pour d’autres, non. Ils décident de se passer du BUMDA et ses protocoles qu’ils trouvent assez complexes pour eux, voire utopiques, pour privilégier l’indépendance. Les concerts, les shows case et les invitations pour prester à des manifestations sont désormais les sources de rentabilité directe. Pour leurs albums, ils prennent tous en charge, des enregistrements aux réalisations des clips en passant par la conception des jaquettes.

Rares sont les pochettes d’albums sur lesquelles, le sticker du BUMDA est marqué de nos jours. Certains font tout sur internet en misant sur les avantages qu’offre le numérique comme la promotion à travers les plateformes YouTube, Facebook, Twitter, Instagram… La vente directe sur les sites de streaming et de téléchargement légal comme Amazon, Deezer, iTunes ou encore Empire Afrique qui gagne du terrain, sont privilégiés. Une stratégie très développée qui fait que les artistes, de plus en plus, négligent le BUMDA, ne protègent pas leurs œuvres et n’en mesurent plus les risques.

Issouf Koné

Cet article a d’abord été publié sur Music in Africa. Cette version contient quelques modifications.

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