Le long métrage fiction « Sira, sur la route » du réalisateur malien Fousseyni Maïga est sacré lauréat du prix Laafi La Boumbou de la 28 édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Avec ce film d’une durée de 66 minutes, l’actuel directeur du Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM) questionne la force de l’amour face à une tradition séculaire dans une société en pleine mutation.
Le Mali, pays invité d’honneur de la 28 édition du Fespaco (tenue du 24 au février au 4 mars 2023), n’est pas rentré bredouille de la plus grande compétition panafricaine du 7e art. Quatre films maliens ont, en effet, été primés dont le long métrage fiction Sira, sur la routede Fousseyni Maïga, sacré lauréat du prix Laafi La Boumbou. Une mention spéciale du jury a également été attribuée à la série télé Fanga, le pouvoir du même réalisateur. Sira qui signifie la route en langue bambara (l’une des langues nationales du Mali), est un parcours fait d’aventures et de mésaventures de ces personnages principaux animés chacun d’un idéal qu’il défend, souvent au prix d’énormes sacrifices.
L’amour, la vengeance, la maladie, les coutumes et traditions, le mariage forcé… voilà les thématiques autour desquelles le réalisateur malien a subtilement construit le scenario du film Sira, sur la route. L’histoire se déroule dans un village malien atteint d’un vent de modernisme et qui voit ses traditions séculaires bousculées par une jeunesse rebelle guidée par la force de l’amour et l’envie de s’émanciper du joug de ces pratiques ancestrales. Une tradition vieille de 200 ans sera transgressée. Mais à quel prix ?
Sira et Namory tombent amoureux dès le premier regard. Toutefois si Sira est sincère, cela est loin d’être le cas de Namory qui cherche plutôt à se venger de la famille de son amoureuse dont le père (Zan Coulibaly) est l’assassin du sien. Cette révélation et la mort accidentelle de la mère de Sira (par balle) par son père renforcent davantage l’amour entre les deux jeunes.
Sira est choisie par les sages du village pour être le sacrifice humain. Namory la convainc de lui donner sa virginité. Ce qui la sauverait du rituel. Elle accepte et tombe enceinte. Sira apprend par la suite que Namory est atteint du virus du Sida et donc elle aussi. C’est le début de l’enfer pour Sira qui découvre ainsi une nouvelle facette de son amoureux qui, en réalité n’est qu’un coureur de jupons sur les sites d’orpaillage. Sira tombe dans une dépression et tente le suicide. Mais elle est sauvée in extremis. Namory qui refuse de faire le dépistage et de suivre un traitement finit par mourir de la maladie.
Us et coutumes
S’il y a bien une chose qui donne du grain à moudre au téléspectateur dans ce mélodrame, c’est bien l’enchevêtrement des principaux thèmes : le sacrifice rituel, l’amour et le VIH/Sida autour desquels le réalisateur a su construire son récit. Un récit qui fait écho à l’actualité mais aussi aux réalités de la société contemporaine malienne voire africaine, des thèmes assez fréquents dans l’écriture filmique du réalisateur malien.
Toute-fois, le sacrifice humain n’est pas nouveau dans le cinéma africain. En effet, tout comme dans Sia, le rêve du python du réalisateur burkinabè Dani Kouyaté, « Sira, sur la route » de Fousseyni Maïga questionne ces pratiques ancestrales parfois construites autour des mythes. Des pratiques contre lesquelles se rebellent les contemporains.
Ces us et coutumes perdent de leur sacralité au fil du temps. Cela s’explique par plusieurs facteurs dont la modernité entrainant le changement des mentalités, mais également le discrédit qu’elles essuient souvent à cause du comportement inapproprié de certains sages chargés de leur exécution. Le viol d’une fille par le passé (présenté en flashback) par l’un des sages en est une belle illustration dans « Sira, sur la route ».
Ce film ouvre également le débat sur l’inefficacité de la justice dans la société malienne. Zan Coulibaly, le père de Sira est coupable du meurtre de sa première femme mais curieusement, la sentence de celui qui est également accusé d’être le meurtrier du père de Namory est fixée par le chef du village. Il est condamné à 3 mois de prison et 9 mois de travaux publics.
Les thématiques de l’amour et de l’orpaillage ne sont pas non plus nouvelles dans les œuvres de Fousseyni Maïga. C’est une suite comme logique de ses précédents longs métrages qui s’inspirent également des réalités locales. L’amour et le mariage forcé ont été abordés dans son premier long métrage Le voile secret tandis que la problématique des sites miniers a été évoquée dans son deuxième long métrage intitulé Les roues du destin.
La vie de débauche sur les sites d’orpaillage est un fait réel au Mali. La plupart des filles qui s’y rendent pour échapper à la précarité ne sont pas à l’abri d’une vie de débauche. Le rendement sur ces sites étant lent, beaucoup sont obligées de basculer dans le plus vieux métier du monde. Une pratique qui augmente bien évidemment les chances de propagation des maladies comme le VIH/ Sida qui reste encore une maladie controversée dans la société malienne voire africaine.
Qualité technique
Sira sur la route est également un récit d’espoir construit autour de la trajectoire de Sira, qui, après la contraction de la maladie et sa tentative de suicide, conseillée par des médecins, décide enfin de suivre un traitement. Elle retrouve, par la suite, une vie accomplie autour de ses jumeaux (fruit de sa relation avec Namory) et un mari qui l’accepte malgré sa vie antérieure.
Ce parcours de Sira nous rappelle celui de l’héroïne du roman Contre vents et marées(Figura Editions, Mali, 2021) de l’écrivaine tchadienne Zenaba Dinguest qui retrace le difficile parcours de Halima, une jeune fille, atteinte du virus du Sida et qui a été obligée d’affronter la stigmatisation, le rejet et les préjugés de la société. C’est une bien triste réalité que vivent les personnes séropositives dans nos sociétés africaines où elles sont marginalisées. Une situation qui enlève à certaines toute envie de vivre et qui se laissent engloutir par la maladie qui n’est cependant pas fatale.
La qualité technique du film produit par le groupe Arc-en-ciel du Mali constitue l’une de ses forces. La bonne qualité de l’image et du son est soutenue par un excellent découpage technique dans lequel le réalisateur a fait appel à différents plans : large, zoom, arien, d’ensemble, plongé, travelling… Le choix des costumes à travers un mélange du traditionnel et du moderne est pertinent vis- à-vis du milieu dans lequel l’intrique se déroule. Aussi, le décor et le casting du film révèlent d’un travail minutieux.
Le choix des acteurs locaux accentue l’originalité de la plupart des rôles. Ce qui impressionne également dans Sira, sur la route, c’est bien la capacité du réalisateur à donner une lecture claire et fluide au scenario malgré une véritable imbrication de thématiques dans un film d’une heure de temps. Ce qui aurait pu être un handicap est devenu l’une des plus grandes forces de ce long métrage.
Youssouf Koné
NB : Cet article a d’abord été publié dans l’e-mag No’ocultures.