Ce mardi 22 mars 2022, à l’Institut français du Mali, le cinéma était à l’honneur. Le dramaturge, metteur en scène et opérateur culturel, Alioune Ifra N’Diaye, a enfilé une autre de ses multiples casquettes, celle du réalisateur, pour présenter au public, en avant-première, son premier long métrage intitulé « Taane ».
Nous sommes le mardi soir, à l’Institut français du Mali. La salle, en un temps record, est bondée de monde. Les lumières s’amoindrissent pour faire place à une semi-obscurité enveloppante. Quelques conversations par-ci par-là, puis une concentration générale après l’introduction du réalisateur. Les yeux, curieux, sont captivés par le grand écran qui donne les premières images du film. Fous rires dès les premières minutes, quelques soucis techniques, indignation passagère des spectateurs qui s’appropriaient déjà le récit puis retour à la normale.
« Taane »
L’histoire se déroule à Sélingué, une petite ville située à environ 3 heures de route de Bamako. Taane, le personnage principal (déformation du français bambarisé de Tante), est le titre éponyme du film. Vendeuse de “Soumbala”,( un condiment fabriqué traditionnellement avec les graines de l’arbre néré), Taane est à la retraite. Malgré toutes les épreuves qu’elle traverse, Taane arrive à impacter positivement son entourage par son courage remarquable, lié à sa passion pour la modernité au sens positif du terme.
Ce personnage fictif, dans la conception du réalisateur, représente en quelque sorte le Malien ou la Malienne par excellence. Taane est un bel exemple de citoyenneté. Elle connait des hauts et des bas mais reste une femme ambitieuse, forte. Mariée 3 fois, d’abord à un animiste, ensuite à un chrétien puis à un musulman, elle est mère de 4 enfants dont des jumeaux. Cette situation de femme divorcée puis mariée deux fois de suite, ne l’empêche nullement de bien éduquer ses enfants ou d’avoir « une vie normale ».
Un amour inconditionnel
Une grande partie de l’intrigue de cette histoire, racontée par un grand-père à sa petite fille, tourne autour d’une relation amoureuse perturbée. En effet, Allassane, l’un des jumeaux de Taane et Zeïna, tous deux avocats, sont amoureux l’un de l’autre. Les tourtereaux ont du mal à ficeler leur union car le père de Zeina n’y est pas favorable. Pour cause, Allassane est handicapé. La force du griotisme, l’amitié et le courage de Taane joints à l’amour inconditionnel d’Alassane et Zeïna finiront par porter fruit.
De la conception à la réalisation
Le film est le résultat d’un long processus de réflexion. Muri au fil du temps, il trouve son origine loin, lorsqu’Alioune était étudiant à l’Ecole normale supérieur de Bamako (ENSup), et parallèlement stagiaire réalisateur à l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM).
Dans le cadre de son stage de fin d’études, le réalisateur Cheick Oumar Sissoko l’avait mis en contact avec le comédien Habib Dembélé, communément appelé “Guimba national”, pour la conception du projet 52, un spectacle qui traite de la condition des filles de ménage et qui a connu un vrai succès à l’époque. « C’est lors de cette collaboration avec Guimba, que j’ai commencé à développer l’idée de ce film dont l’histoire est basée sur la vie d’une femme retraitée mais très moderne, ouverte sur le monde », confie le réalisateur.
«Tuer le pessimisme général qui coince le Mali»
Citoyenneté, patriotisme, entrepreneuriat… sont quelques sujets qui animent beaucoup les «grin» et les plateaux télé au Mali. Le réalisateur consacre d’ailleurs des lignes à ces préoccupations qui sont celles du Malien lamba, dans son livre On ne nait pas Banyengo, on le devient publié en 2016 aux éditions La Sahélienne.
« Les crises sanitaires, sécuritaires, sociales et politiques maliennes de 2020 ont entraîné une augmentation de 5% de la pauvreté. Les zones rurales du sud à forte densité démographique concentrent les 90% de la pauvreté du pays », souligne l’indicateur de développement 2018 de la banque mondiale dans sa mise à jour du 02 novembre 2021.
La quantité importante de démunis face à une poignée de riche fait naitre des frustrations au sein de la population malienne. Les récentes contestations à répétions sous le régime de l’ex Président Ibrahim Boubacar Keita, sont la preuve que les gens sont au bout du rouleau. Ils ne rêvent plus d’un Mali juste parce qu’ils ne le croient plus possible. Un pessimisme général s’est installé. « Chaque Malien que tu rencontres te dira que le Mali est foutu, qu’il n’est pas récupérable », confie avec désolation monsieur Ndiaye.
Avec ce film, l’objectif du réalisateur est de prouver qu’un Mali nouveau est à espérer, que le rêve malien est possible. A partir des efforts individuels, en apportant des contributions, aussi minimes soient-elles, on peut faire du Mali un pays enviable aux citoyens courageux et exemplaires à l’image de Taane.
L’engouement autour de ce projet, résultat d’un financement participatif, est interpellateur. Ce n’est pas le rappeur Ramses Damarifa, membre du Conseil national de la transition (CNT) qui dira le contraire : « Taane nous interpelle tous. C’est un film d’espoir, à voir absolument. »
À noter qu’à la suite de cette avant-première réussie, une sortie grand public est prévue pour le samedi 26 mars 2022 au Centre international de conférence de Bamako (CICB).
Issouf Koné