Diadié Dembélé : « La fiction permet de supporter le réel »

L’auteur du désormais incontournable « Le duel des grands-mères », Diadié Dembélé, était à Bamako dans le cadre de la Rentrée littéraire du Mali 2022. Kone’xion Culture est allé à sa rencontre le temps d’un entretien.

Kone’xion Culture : « Le duel des grands-mères », faites-nous un peu l’historique de ce roman.

Diadié Dembélé : Au début, c’était une histoire familiale, une saga sur trois générations avec énormément de personnages. Elle a commencé avant la colonisation et s’est terminée avec les indépendances et un peu plus tard dans les années 2000. J’ai fait lire le texte à des personnes qui m’ont fait savoir qu’il était assez vaste et qu’il fallait donc resserrer l’histoire. Et vu qu’il y avait un personnage qui sortait un peu du lot, Hamet, qui allait à l’école, qui apprenait la langue française et dont les parents ne comprenaient pas son amour pour cette langue, j’ai pris ce personnage, je l’ai sorti de la saga familiale et j’ai construit autour de lui cette question relative à la langue, du symbole comme cela a été un peu mon cas dans l’apprentissage de la langue française. Il y a eu ensuite la question du déplacement de Bamako à Kayes qui s’est posée au fur et à mesure. Les parents qui voyaient en Hamet un « perdu » ont préféré l’envoyer au village pour qu’il s’imprègne un peu plus de ses racines.

Le choix du titre ?

Diadié Dembélé : Lorsque j’ai fini le texte, j’avais un titre assez long qui était « Le duel des langues et des grands-mères ». Avec mon éditrice, nous avons eu une riche discussion et nous nous sommes dit qu’on allait l’appeler « La danse des grands-mères » mais ce titre était déjà utilisé par un autre auteur. Finalement, elle a proposé Le duel des grands-mères que j’ai trouvé génial puisque tout le livre chemine vers ce duel qui est en quelques sorte le dénouement de l’histoire familiale.

« Le duel des grands-mères » a-t-il un lien direct avec la personne de Diadié Dembélé, ou nous sommes purement dans la fiction ?

Diadié Dembélé : C’est une histoire fictive, mais en même temps, il y a toujours un peu de soi dans un texte en mon sens. J’ai d’ailleurs l’habitude de dire que si j’écris sur un moine bouddhiste, en ce moine, il va y avoir un peu de Diadié. On a toujours quelque chose en commun avec les personnages sur lesquels on écrit. C’est en cela que réside la capacité d’un auteur à pouvoir construire un monde dans lequel il ne peut pas forcément habiter mais avec des personnages inspirés de personnes réelles. Par exemple, le moine bouddhiste sur lequel je pourrai écrire, peut avoir la même taille que moi, il peut aimer les mêmes chansons que moi etc. On retrouve toujours un peu de l’auteur dans ses personnages.

Pourquoi avoir décidé de ramener cette question de la langue qui, rappelons-le, a déjà été explorée par de nombreux auteurs ?

Diadié Dembélé : Pour moi, la littérature est un éternel recommencement. Du côté francophone, les écrivains comme Amadou Kourouma sont des pionniers dans le domaine mais lorsqu’on se penche sur d’autres littératures, on se rend compte que cela a toujours existé. Par exemple, si on remonte très loin, au siècle d’or de l’empire musulman, on se rend compte qu’entre les poètes perses qui faisaient de la poésie en langue perse et la langue arabe, il y avait déjà cette question. Parce que la langue Arabe devenait de plus en plus dominante. Lorsqu’on s’éloigne de ces endroits pour revenir en France, la langue des troubadours qui étaient l’occitan a eu des accrochages avec le latin. Chez nous également, ici en Afrique, ces questions se sont posées avec les écrivains. Voilà. Il n’y a pas de sujet neuf. Tous les sujets, du mariage au deuil en passant par l’amour, tout a déjà été exploité. Roméo et Juliette existe depuis longtemps. L’intérêt pour moi, ce n’est pas de faire la même chose, mais de plutôt prendre le même thème et le traiter à ma façon. Je conçois le sujet comme une maison en construction. Chaque écrivain y ajoute sa pierre, ainsi de suite jusqu’à la construction d’un édifice.

Peut-t-on dire de votre roman, sinon de votre littérature, qu’elle est une littérature engagée ?

Diadié Dembélé : Je me méfie de la notion de littérature engagée même si je pense qu’on est tous engagés d’une manière ou d’une autre quand on écrit. J’ai fait le parti pris de raconter un peu le quotidien des gens. Je voulais un peu rompre avec certaines réalités comme l’instabilité que traverse le Mali. Je pense que la fiction permet de supporter le réel. Si celui-ci doit faire effraction dans la fiction, j’avoue que moi personnellement, ça ne me convient pas comme littérature.

Qu’est-ce que cela vous fait de vous retrouver aujourd’hui à Bamako, une ville assez présente dans le roman ?

Diadié Dembélé : C’est ma première fois d’être ici pour la Rentrée littéraire mais je tiens à souligner que j’ai grandi dans cette ville. C’est un territoire qui, pour moi, est assez important car il nourrit mon imaginaire. Quand j’étais ici, les matins en allant à l’école, j’achetais des beignets, c’est quelque chose que je ne trouve pas en France par exemple. Dans les années 2010, je me souviens qu’il y avait une vague assez intéressante de rappeurs qui naissaient, notamment avec les collectifs GRR et Ghetto K-fry. Je n’en étais pas vraiment fan mais ça quelque part participé à la construction de mon imaginaire. Une ville, c’est cela, on l’habite, elle nous habite qu’on le veuille ou pas.

Vous avez rappelé que la notion de littérature engagée ne vous parle pas vraiment mais cela vous ferait-il plaisir de voir un jour des mots comme « froufrou » dans le dictionnaire français, vu que la langue française est en perpétuelle mutation et que c’est une possibilité ?

Diadié Dembélé : Dans mon texte, j’ai fait justement ce choix d’injecter plusieurs mots comme « froufrou » que vous avez souligné. Il y a également des mots comme « guèssè », qu’on appelle le siwak qui, à la base est un mot arabe. Si l’Arabe a le droit d’entrer dans le dictionnaire français, la langue Bambara ou toute autre langue devrait avoir ce même droit. En fait, j’ai essayé au maximum d’emmener des mots comme ça. Pas forcement pour que ça rentre dans le dictionnaire français et je me dis qu’on n’en a même pas besoin. Le dictionnaire n’est pas l’instance qui doit nous autoriser à utiliser un mot. Si on a envie d’utiliser tel ou tel mot, on l’utilise. La langue nous appartient, on en fait ce qu’on veut.

Propos recueillis par Issouf Koné

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