Exposition : « Fitinè », l’œuvre de mémoire d’Ibrahim Ballo 

Le Musée national du Mali accueille du 25 août au 25 septembre 2023, l’exposition intitulée « Fitinè, totem de l’obscurité », de l’artiste peintre malien Ibrahim Ballo. « Fitinè » est une énorme installation de 1000 lampes à huile. Un véritable plongeon rétrospectif pour certains et une découverte impressionnante pour d’autres notamment les plus jeunes. 

L’une des particularités de la démarche artistique d’Ibrahim Ballo réside dans son enracinement dans le patrimoine culturel de son pays, le Mali voire de l’Afrique. L’artiste est en effet connu pour sa technique picturale alliant peinture et tissage avec comme matière des fils de laine, inspiré de la technique de filage de coton. Il découvre cette pratique ancestrale à travers sa grande mère mais aussi chez les tisserands maliens et africains.

Cependant, si sa création artistique prend racine dans le patrimoine de son pays, Ibrahim Ballo ne se laisse pas enfermer dans des frontières. C’est un artiste à vocation universelle. Il questionne les problématiques de sa société mais aussi celles de l’univers. Sa technique de filage est symbole de connexions entre les humains et les horizons. Cependant, pour sa dernière exposition en date, dans la salle d’exposition du Musée national du Mali à Bamako, l’artiste ne peint et ne file pas. Il propose plutôt une installation spectaculaire de 1000 lampes à huile. Cet objet ancestral en voie de disparation et méconnu de la nouvelle génération de Maliens. 

Le chiffre sept (7)

La lampe à huile est une coupelle ovale noire faite en fer et munie d’une anse qui lui permet d’être accrochée à un clou de fer a moitié enfoncé dans le mur. Avec comme combustible, l’huile de karité (un arbre fruitier d’Afrique de l’ouest), la lampe fonctionne à l’aide d’une mèche de coton plongée dans l’huile et au bout de laquelle est mis le feu. Elle servait ainsi à nos ancêtres d’éclairer l’intérieur de leur case quand le jour venait à disparaitre laissant place au règne de l’obscurité. 

La vue de l’installation est un choc pour les visiteurs. Elle provoque chez les anciens, ayant connu l’objet, qui aurait bercé leur enfance et jeunesse, un effet nostalgique du passé tandis que sa découverte par les plus jeunes est à couper le souffle.

Cet objet usuel devient de plus en plus rare même dans les villages même non électrifiés. La lampe à huile avait été bousculée par l’apparition de la lampe à pétrole dans les villages et campements avant d’être classée dans les oubliettes par l’avènement des lampes à pile ou électriques rechargeables au soleil. La lampe à huile n’est plus utilisée et à tendance à tomber dans les oubliettes de la mémoire collective. 

1000 lampes à huile allumées sont accrochées sur un fond blanc maculé au moment du vernissage. Des petits vapeurs s’échappent de la lumière des lampes qui éclairent la salle d’exposition. Les quatre murs de la salle sont couverts de lampes. Les lampes sont accrochées de façon linaire. Sur chacun des trois murs, sept (7) lignes horizontales sont formées par les lampes. Cette scénographie est loin d’être fortuite. Elle s’adosse au chiffre. 

Le chiffre sept (7) dans la spiritualité traditionnelle africaine peut faire allusion à l’homme désigné par le chiffre trois (3) et à la femme à laquelle est attribué le chiffre quatre (4).  Mais pour le Professeur de lettres et traditionnaliste malien Dr. Fodé Moussa Sidibé, le symbole du chiffre sept (7) va au-delà. « Dans notre spiritualité, le chiffre sept (7) n’est pas que la combinaison de l’homme et la femme. Le 7 est synonyme du chiffre un (1) qui désigne l’être parfait, le créateur de l’univers», nous enseigne-t-il. 

La lumière 

C’est un rappel que l’artiste nous fait à travers cette exposition. Ballo n’invite pas forcement à un retour à l’usage de lampe à huile. S’il souhaitait, cependant, que ses contemporains s’approprient d’une chose, ce serait sans doute la symbolique de l’objet. La lampe à huile au-delà d’être porteuse d’un message d’union et de solidarité dans les relations humaines, des plus restreintes au plus larges peut également symboliser la lumière qui éclaire le chemin de l’espoir d’où le sous-titre « Totem de l’obscurité ». Cette lumière que chacun de nous a en lui et qu’on peut partager avec notre prochain.

Cette symbolique de la lumière est soutenue par une partie de l’installation des lampes. Elle est située à l’entrée de la salle et est séparée des autres auxquelles elle fait face. Celle-ci affiche des représentations d’astres : la lune, le soleil et des étoiles. Ces astres qui éclairent la terre de jour comme la nuit. Cette dimension céleste de l’installation démontre toute l’importance de la lumière dans nos vies qu’elle émane d’un objet ou d’un être ou même de notre créateur. 

Créée grâce à l’appui du Fonds africain pour la culture (ACF), un fonds d’aide à la création artistique et de professionnalisation du secteur artistique en Afrique, cette oeuvre pourrait être présentée dans d’autres espaces au Mali voire sous d’autres cieux afin de conscientiser et inciter à la sauvegarde de ce patrimoine ancestral, plein de symboles, aujourd’hui menacé de disparition. 

Youssouf Koné     

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