Françoise Huguier : « On ne peut pas juger le travail d’un photographe avec quatre photos punaisées au mur »

La 13eme édition de la biennale africaine de la photographie se déroule actuellement à Bamako. Difficile de parler de cet évènement majeur de l’art contemporain sans évoquer le nom de Françoise Huguier, l’initiatrice. Cette année, elle n’a pu effectuer le déplacement. En revanche, elle a bien voulu accorder un entretien à Kone’xion culture. L’historique des rencontres de Bamako, l’ambiance de la première édition, ses acteurs et son impression sur cette énième édition sont les sujets qui ont été abordés.  

Kone’xion Culture : Peut-on vous appelez la Duchesse de Bamako ? Quelle est l’histoire qui se cache derrière ce surnom ?

Françoise Huguier : Ce surnom me vient d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr. Un soir à Bamako, je décide de sortir en boite de nuit avec des amis et à la sortie j’avais mon sac à dos sur la poitrine, quelqu’un m’a attrapé par le cou et m’a étranglé pour me voler mon sac. Le lendemain, j’avais très mal au cou et Agnès est venue dans ma chambre en s’exclamant « Alors qu’est-ce qu’elle a la Duchesse de Bamako, elle fait des folies ? ». Depuis ce surnom est resté.

Comment est née l’idée de mettre en place les Rencontres de Bamako ?

Cette idée m’est venue lorsque le journal Libération m’a envoyé au festival de Cannes, où le réalisateur et cinéaste malien Souleymane Cissé a obtenu un prix pour son film Yeelen qui veut dire la lumière en bambara. D’ailleurs, pour moi le Mali est le pays de la lumière à l’intérieur comme à l’extérieur.

Étant donné que Dakar avait un festival et que le Fespaco se déroulait à Ouagadougou, je me suis dit que c’était injuste et qu’il fallait organiser un festival de photographie à Bamako. J’en ai d’abord parlé au Président de la République de l’époque Alpha Konaré qui était un homme de culture qui m’a soutenu dans mon idée. Après avoir convaincu les hautes instances du Mali, ce sont les photographes Alioune Bâ, Django Cissé et Racine Keïta eux-mêmes qui m’ont proposé leur aide.

Françoise Huguier

Qui sont les premiers acteurs qui vous ont accompagné dans cette démarche ?

J’ai pris contact en France avec Roger Aubry et Patrice Peteuil directeur d’Afrique en créations ainsi que le ministère de la culture en France pour trouver un financement. C’était Agnès de Gouvion Saint-Cyr qui s’occupait de la photo au ministère à l’époque. Je tiens également à remercier la Revue Noire qui a effectué un travail exceptionnel. Au ministère de la culture malienne. J’ai beaucoup travaillé avec Amidou Maïga que je remercie également. Mon nom est souvent associé à celui de Bernard Descamps quand on parle de la création de la Biennale, cependant il est arrivé à Bamako la veille de l’ouverture et n’a été d’aucune aide à l’organisation.

Pouvez-vous nous parler un tout petit peu de la première édition, l’ambiance, les photographes qui ont exposé, le catalogue ?

Pour préparer la première biennale et trouver les lieux d’exposition, je suis partie deux mois avant et j’ai fait un voyage en Afrique du Sud car je voulais absolument des anglophones et des francophones.

En 1994, le centre Hampâté Bâ était en piteux état, il a été abimé à la chute de Moussa Traoré, presque tous les carreaux étaient cassés. L’ambassade de France et le Centre culturel français me disaient que ce n’était pas possible d’y exposer. J’ai insisté en disant que nous n’avions besoin que des murs pour accrocher les photos et nous avons malgré tout réussi à exposer les photos de l’Amap et notamment la visite des chefs d’état : Zhou Enlai, Nkrumah, Haïlé Sélassié, …

Cette exposition a joué un rôle important auprès des Bamakois qui redécouvraient l’histoire du Mali et pour ça le directeur du journal L’Essor m’a énormément aidé et je le remercie. J’ai eu beaucoup de chance car quand je faisais visiter les expositions avec le frère de Modibo Keïta qui racontait toute cette période jusqu’au coup d’Etat de 91.

Seydou était exposé aux anciens combattants près du Marché Rose. C’était la première exposition de Malick Sidibé qui était accrochée à L’Institut national des arts (INA). J’avais fait l’année précédente une sélection dans ses négatifs et je lui ai demandé de faire un atelier au moment des rencontres.

Pour cette première Biennale, il y avait peu de photographes exposés mais cela leur a permis d’accrocher un nombre conséquent d’images.

Le jour de l’inauguration, il y avait une groupe dogonne et les marionnettes de Markala sur le fleuve. Je voulais que ce soit une fête pour tout le monde aussi bien pour les photographes que pour les Bamakois.

Vous avez également contribué à la promotion de Malick Sidibé et Seydou Keïta. Pourquoi ceux-là et pas d’autres ? Qu’est-ce qu’ils avaient de spécial et qui tout de suite vous ont marquée ?

Je les ai connus grâce à Django Cissé avec qui j’avais fait un workshop.  Je lui ai demandé de m’emmener chez les photographes maliens. Nous sommes allés chez Seydou Keïta qui avait très bien rangé ses négatifs dans une cantine. J’ai eu ensuite un problème d’appareil photo et Django m’a dit « Allons chez Malick il répare les appareils » et là j’ai fouillé partout et j’ai trouvé pleins de négatifs et des planches contact qui m’ont fasciné.

Pourquoi eux ? Je savais qu’il y en avait d’autres mais c’est le hasard, j’ai peut-être commis l’erreur de ne pas avoir assez cherché car maintenant tout le monde pense qu’il n’y a que deux photographes historiques au Mali, or il y a également Abdourahmane Sakaly, Adama Kouyaté et bien d’autres …

La Biennale est à sa 13ème édition et vous n’avez pas pu effectuer le déplacement. Quel est cependant le sentiment qui vous anime ?

Malheureusement je n’ai pas pu me rendre à cette 13ème édition mais je suis allée à celle d’il y a 3 ans où il y avait 85 photographes exposés. Cette année, je sais qu’il y en a 75 avec peu de photos et je trouve ça ridicule, on ne peut pas juger le travail d’un photographe avec 4 photos punaisées au mur. Y-a-t ’il vraiment une direction artistique ?

J’ai créé ces rencontres dans le but de faire venir tous les photographes pour qu’ils puissent parler de leur travail dans un esprit de partage. A mon grand regret, cette année, beaucoup de photographes sont venus se plaindre auprès de moi de l’organisation. Certains ont eu la chance de recevoir leur billet d’avion la veille alors que d’autres ne l’ont même pas encore reçu.

Pour la première édition, pour que les gens se déplacent nous sommes allés voir le directeur de l’ORTM avec Alioune Bâ afin de diffuser une vidéo promotionnelle aux informations de 20h peu avant l’ouverture du festival. Nous avons également mis des affiches dans toute la ville et il y a eu beaucoup de visiteurs. Cette année, on m’a dit qu’il n’y a pas d’affiches, que le catalogue n’est pas encore sorti et qu’une partie des expositions n’étaient pas ouverte le jour de l’inauguration.

Cependant, je trouve très bien qu’il y ait des expositions à la gare de Bamako et que des soirées sont organisées au café de la gare, lieu historique et emblématique de la ville. Il est également dommage que les rédactions étrangères refusent d’y envoyer les journalistes alors que Bamako est tout de même un lieu sécurisé.

Propos recueillis par Issouf Koné

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