Idrissa Soumaoro : « L’album Diré est aussi un message de résilience, de courage et d’amour »

Le nouvel Album d’Idrissa Soumaoro est disponible depuis le mois dernier sur toutes les plateformes de téléchargement légale. Ce produit de 10 titres aux sonorités riches et variées s’intitule « Diré », en référence à cette localité du nord du Mali où l’artiste a exercé en tant que fonctionnaire dans les années 70-80. Dans cette interview exclusive accordée à Kone’xion Culture, il revient sur son lien avec la ville de Diré, le contenu de ce nouvel album et l’histoire autour de son titre à succès « Petit imprudent ».

Pochette de « Diré », crédit photo Miéruba

« Diré » est le titre de votre nouvel album, sorti le 22 septembre dernier. Pourquoi avoir décidé de le baptiser ainsi ?

Diré est une ville qui m’est très chère.Après mes études musicales à l’Institut national des Arts (INA), j’y ai été affecté pour mon premier poste. Le gouvernement avait décidé à l’époque d’envoyer les quatre meilleurs de chaque filière dans les Instituts Pédagogiques d’Enseignement Général (IPEG). C’est ainsi que le sort m’a conduit à Diré où j’ai rencontré ma femme qui y était aussi pour son premier poste en tant qu’enseignante d’économie familiale. Notre première fille (paix à son âme), est née là-bas. Comprenez donc que c’est une ville qui m’a beaucoup apporté. En appelant cet album Diré, je rends ainsi hommage à cette localité qui constitue une partie importante de ce que je suis.

Avez-vous envie d’y retourner ?

Lorsque j’y étais, c’était une ville paisible, très importante du nord du Mali où l’entente, l’unité, la paix, l’espoir régnaient. Cet album a une portée très significative pour moi car il met en avant ce côté riche de Diré que j’ai connu. Il représente en quelque sorte l’album de ma vie. Alors oui, je souhaite vivement retourner à Diré avec ma femme, ne serait-ce que pour saluer les gens, discuter avec eux, passer au bord du fleuve, voir le quai du bateau par lequel on arrivait ; un petit tour dans ce lieu, jadis un havre de paix me ferait énormément plaisir.

Qu’est-ce qui vous empêche d’y retourner ?

Rien ne m’empêche de retourner à Diré, même si quand les gens m’en parlent aujourd’hui, ils me disent que ce n’est plus la même chose, avec notamment la situation sécuritaire qui a beaucoup impacté sa quiétude. Aussi, beaucoup de mes connaissances n’y sont plus, notamment mes collègues de l’IPEG. Ces raisons retardent mon retour à Diré mais n’auront pas raison sur mon devoir de le faire. J’y retournerai si Dieu le permet.

Vous parliez de la situation sécuritaire et du fait qu’elle ait fortement impactée la vie à Diré. En décidant de baptiser l’album ainsi, l’idée n’était-elle pas aussi de porter un message d’espoir ?

Effectivement. Un message d’espoir, de paix et de vivre ensemble qui sont des valeurs que les différentes communautés du Mali ont toujours développées. La situation que nous vivons actuellement, avec le terrorisme qui frappe différentes régions du Sahel, mérite que chacun de nous, à sa manière, soit au front. En appelant l’album Diré, je voulais rendre hommage à Diré mais appeler aussi à la résilience, au courage, à l’amour entre les uns et les autres. 

Parlant du contenu, c’est un produit très riche en couleurs, à l’instar de Djitumu et Kôté, vos deux autres albums solos. Etes-vous d’accord avec le fait que ce soit très difficile de vous caser en termes de style musical ?

Je comprends. Vous avez l’oreille, je dirais (rire). La vérité est que j’ai passé beaucoup d’années à faire de la musique de variété avec des orchestres qui font un peu de tout. C’est pourquoi dans ma musique, vous remarquerez de la salsa, de la soul, du Jazz etc. Les espaces culturels où je jouais avec les ambassadeurs, au côté de Salif Keita, Manfila Kanté et d’autres orchestres comme celui de Kouli et les acolytes m’ont forgé.

Suite au décès de Kouli, j’ai continué à diriger son orchestre avec un ami bassiste qu’on appelle affectueusement vieux Samaké. Tout ce parcours m’a beaucoup enrichi musicalement et m’a fait adopter énormément de genres musicaux. Il est donc très difficile pour moi de me focaliser sur un style unique. Pour moi, tant que la musique est bonne, on y va.

Idrissa Soumaoro, crédit photo Celine Legay

Parlez-nous un peu de l’historique de ce nouvel album.

J’ai commencé les enregistrements, il y a une dizaine d’années environ. Beaucoup de titres étaient dans le tiroir. Par la suite, j’ai rencontré le producteur d’Amadou et Mariam, Marc-Antoine Moreau qui a voulu produire l’album. Nous avons commencé à travailler ici à Bamako, dans le studio de Manjul. Malheureusement, Marc est décédé quelques temps après. Le travail a continué petit à petit et le projet a été finalisé à Paris. Du début à la fin, beaucoup de personnes ont contribué. Je profite pour les remercier ; du bassiste d’Amadou et Mariam, Yao Dembélé et son orchestre à des amis et amies français(e)s, notamment Nathalie que je n’ai jamais rencontrée. Finalement nous l’avons sorti sous le label Miéruba de Ségou du producteur Ardo.

Notons que vous êtes actif musicalement parlant depuis les années 60. Vous avancer cependant lentement sur la production d’albums. Cela n’est-il pas lié au fait que vous soyez un artiste assez perfectionniste ?

C’est possible. Je crois que j’ai vécu quelque chose d’assez difficile quand même avec mon premier titre qui a fortement impacté le reste de ma carrière. Le fait est qu’en 1969, j’ai enregistré mon titre « Petit imprudent ». Quelqu’un de malintentionné l’a repris, puis est allé le vendre en Côte d’Ivoire aux Libanais, en se faisant passer pour moi. À Abidjan qui était une plaque tournante de la musique à l’époque, les Libanais en ont fait des copies qu’ils ont vendus comme de petits pains.

J’ai pris une copie que je suis allé déposer au droit d’auteur, c’était à la chambre de commerce à l’époque, pour qu’une enquête soit menée mais rien ne fut. Je n’ai donc jamais pu percevoir de droit sur le titre, qui était pourtant devenu très célèbre.

Et pendant ce temps, j’étais en troisième année à l’INA, toujours en train d’étudier. Je me suis dit que vu cette mauvaise expérience, ce serait peut-être risqué de me consacrer exclusivement à la pratique. C’est comme ça que l’idée de vouloir enseigner est née. Ce que j’ai fini par faire en continuant mes activités musicales.

Un autre aspect concerne aussi le fait que j’ai été élevé par le mari de ma grande sœur qui était le directeur de l’école de mon village. C’était mon homonyme et je l’estimais tellement que je suis allé vivre chez lui. J’ai tout pris de lui sauf la politique. En effet, au temps de Modibo Keita, il était le secrétaire politique du parti RDA. C’est en 1999 qu’il nous a quitté. Ma première guitare était la tienne. Il me l’a prêté et jamais elle ne lui fut rendu. Depuis là, mes penchant étaient orientés vers l’enseignement. Mais ce choix a été conforté par le fait que mes premiers titres aient été piratés.

Vous faites bien d’en parler. Le titre « petit imprudent », inspiré d’une histoire vraie que vous avez souvent racontée sur des plateaux, rappelons-le, a inspiré le célèbre « Ancien combattant » de l’artiste congolais Zao. Lui et vous en aviez parlé à l’époque ?

Avant qu’il ne le fasse, non. Quand Zao a sorti le titre en 1986, j’étais en Angleterre pour mes études de musique braille. Je rappelle que j’ai enseigné pendant 18 ans à l’Institut des Jeunes aveugles, en tant qu’éducateur spécialisé.

« Petit imprudent » est sorti en 1969. Le titre a fait l’objet d’une analyse musicale par des universitaires parisiens. Ils m’ont demandé la permission de faire l’analyse musicologique de la chanson, chose que j’ai acceptée. Après, le travail des étudiants est apparu dans un livret culturel institué « tradition orale », avec les paroles de « Ancien combattant », suivies d’un disque qu’ils ont ventilé dans les pays au sud du Sahara.

Zao que j’ai rencontré ici lors d’un symposium, à l’hôtel Sofitel l’Amitié où je jouais avec mon orchestre, est descendu le soir écouter l’orchestre. Il a même pris la guitare pour jouer son titre « corbillard » avec l’orchestre Taras. Ce n’était pas mon jour d’animation. J’étais venu à tour hasard pour écouter Taras et c’est ainsi que je suis tombé sur Zao.

Les gens au bar me disaient que j’avais bien fait de venir car Zao était là. Ils m’ont encouragé à prendre la guitare pour jouer mon ancien « Ancien combattant ». Quand j’ai terminé, Zao, émerveillé, m’a approché, il m’a donné des accolades, m’a fait asseoir et nous avons pris un verre.

J’ai donc profité pour lui demander. C’est lui-même qui m’a expliqué qu’il a vu le livret culturel, qu’il l’a ouvert et a remarqué qu’il contenait un disque souple avec des paroles. Il l’a joué. Sauf qu’au lieu de donner le titre « Petit n’imprudent » à la chanson, il l’a changé en « Ancien combattant ». Lui, s’est focalisé sur « La guerre n’est pas bonne », alors que moi j’avais pris pour angle d’attaque « le respect de l’âge en Afrique ».  C’est ce qui a fait que les gens n’ont pas du tout compris tout de suite. Heureusement qu’il a pris exactement les paroles de ma chanson.

Avez-vous ensuite entrepris des démarches pour entrer dans vos droits ?

Sur les antennes de RFI, il ne l’a pas reconnu. Quand j’ai eu le prix découverte RFI en 2004, j’ai été à Paris sur les antennes de la même radio. Les points ont été mis sur les « i ». Tout le monde a su finalement que c’est à partir de ma chanson qu’il a fait « Ancien combattant ».

Avez-vous des liens aujourd’hui ?

Malheureusement non. Depuis notre rencontre ici à Bamako, il n’y a plus eu de lien entre lui et moi. Mais ce n’est pas grave. Zao n’est pas le seul. Beaucoup d’artistes ont utilisé des parties de « Petit n’imprudent », Ferre Gola, Alpha Blonby en feat avec Coumba Galo Seck, Meiway etc. C’est d’ailleurs une fierté pour moi d’avoir fait naitre un titre qui puisse autant nourrir la musique africaine. Le pire, c’est de l’utiliser sans le reconnaitre.

Concernant le titre, Alpha qui avait aussi écouté la version qui avait été énormément vendue en Côte d’Ivoire et celle de Zao, m’a conseillé d’enregistrer ma version en disque afin que cela crée une confrontation qui fasse ressurgir la vérité. A l’époque le morceau n’existait pas en disque. Il avait été enregistré à l’ORTM.

Votre musique, que ce soit au niveau des paroles ou des instruments, dégage une certaine sensibilité qui se remarque facilement. Le fait que vous ayez encadré les jeunes aveugle a-t-il un lien avec ce côté émotionnel qui vous caractérise ?

Je suis naturellement quelqu’un d’assez affectueux. J’aime aider les autres au point de m’oublier des fois. Les 18 ans que j’ai passé avec les jeunes aveugles ont poussé beaucoup de personnes à me dire qu’ils ne comprenaient pas pourquoi je perdais mon temps avec les aveugles alors que j’avais du talent . Et vu que je porte des verres, d’autres disaient aussi que je suis allé à l’IJA pour m’apprêter à accueillir ma cécité (rire).

Pour la petite histoire, quand je suis revenu de Diré, j’étais à l’Institut pédagogique national (IPN) où je m’occupais du suivi pédagogique des enseignants de musique. J’ai enseigné à l’école normale secondaire de Badalabougou. C’est à partir de 1978 que j’ai été envoyé encadrer les jeunes aveugles de l’IJA. J’en ai profité pour former un groupe de sensibilisation car à l’époque, les parents pensaient qu’avoir un enfant aveugle était une malédiction. Ils les cachaient. Avec ce groupe, nous avons fait beaucoup de choses afin de faire accepter les enfants aveugles dans la société malienne. De nos actions, les gens ont commencé à avoir de la considération pour les aveugles.

Pour dire que je suis ainsi naturellement. Très sensible. Et c’est cette nature qui se répercute sur ma musique.

Pour revenir à Diré, il y a un morceau intitulé « Kalata » qui parle des élections. Peut-on parler de terme prémonitoire quand on sait que la question des élections au Mali est sur la table ?

J’ai écrit Kalata juste avant les élections qui ont porté Ibrahim Boubacar Keita au pouvoir en 2013. Tout le monde l’a constaté, il faisait presque l’unanimité à l’époque. Et dans la chanson, je demande aux Maliens de sortir massivement pour voter. C’est un morceau qui date mais oui, qui peut être d’actualité. A l’époque, une version en featuring avec Ramses et certains de ses amis est sortie.

C’est pour bientôt le retour à Diré ?

Très bientôt

Propos recueillis par Issouf Koné

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