Jean Marie Nabi Zopito : « Nous continuerons à renforcer la dimension sociale et internationale du festival Afro Beat »

Ouagadougou, la capitale burkinabè, a vibré pendant une semaine, au rythme d’Afro Beat, un festival de musique devenu une référence dans la sous-région. Cette édition qui marquait la onzième, a été l’occasion pour Kone’xion culture de rencontrer Jean Marie Nabi Zopito, directeur de l’événement. Interview exclusive.

Kone’xion Culture : La onzième édition du festival de musique Afro Beat de Ouagadougou est à son terme. Parlons un peu de la genèse du projet ; lorsque vous l’initiez il y a onze ans de cela, quel manque vouliez-vous combler ?

Jean Marie Nabi Zopito : Il y a onze ans de cela, avec des amis, nous étions altermondialistes, convaincus qu’il fallait que l’Afrique ait ses propres voies de développement endogènes à elle. Certaines figures, dans ce sens, ont travaillé à ce que cette Afrique puisse avoir un enracinement démocratique. Je pense particulièrement à Fela Kuti qui est un panafricaniste convaincu. C’est un artiste qui a bataillé pour que les droits de l’homme soit une réalité au Nigéria. Il a proposé une musique alternative à cette musique occidentale qui dominait le monde à l’époque.

Ainsi, nous nous sommes dit, que partant du combat de Fela Kuti et de celui des autres leaders panafricains, il fallait que le Festival s’appelle Afro Beat, un nom, qui rappelons-le, désigne cette musique que Fela a propulsé. L’idée était également d’aller dans le sens du développement communautaire.

Festival Afro Beat Onzième édition

Qui dit onze années, dit une décennie écoulée. Pour un événement de cette envergure, c’est un âge majeur. Quelle est votre plus grande fierté à ce stade d’évolution du festival ?

Notre plus grande fierté aujourd’hui est le fait d’avoir réussi le pari de construire pour la culture du Burkina Faso, un évènement culturel devenu une véritable référence internationale en termes d’organisation professionnelle de Festival. Voyez-vous le nombre de personnes qu’il y a sur le site ainsi que le déploiement technique que nous avons pu faire ? Honnêtement, c’est une source de satisfaction. Les festivaliers se sont appropriés l’évènement et cela nous motive davantage.

Le festival Afro Beat, c’est aussi des actions sociales. Pouvez-vous nous parler de manière globale de toutes les activités citoyennes que vous avez mené dans le cadre de ce festival et que vous continuez à entreprendre ?

Le festival se tient au cœur du quartier Tampouy. Nous sommes dans une zone qui a ses difficultés. Et nous sommes conscients que l’État ne peut pas tout combler. Je pense qu’il faut des formes d’organisation. C’est justement en lien avec cette vision que le festival s’appelle Afro Beat, ce combat de Fela Kuti.

Plusieurs fois nous avons été approchés, soit pour aménager des voiries, soit pour faire la réfection des édifices publics, notamment la garderie populaire et nous avons pour les cinq dernières années, orienté le festival vers son volet social pour qu’il soit utile à la communauté. Nous avons réfectionné jusqu’à ce jour trois rues de façon formelle ; c’est-à-dire que nous faisons la pose des pavés sur les trottoirs, nous posons des poubelles écologiques faites à base de Pneud et des bacs à fleurs. Nous plantons aussi des arbres. Sur le plan du remblaiement, il y a des rues qui sont dégradées. Avec le partenariat qui nous lie à la commune de Ouagadougou (qui appuie le festival avec des engins), nous faisons des remblaiements pour permettre de faciliter l’accès au niveau des différentes rues.

Festival Afro Beat Onzième édition

Mais, au-delà, le grand projet que nous avons cette année, vise à rénover la garderie populaire qui a été construite depuis 1985 par Thomas Sankara, avec pour ambition de faire en sorte que l’éducation préscolaire soit accessible à toutes les couches sociales. Pour nous, cette idée doit se perpétuer. Parce que nous avons un déséquilibre dans nos sociétés au sein desquelles ceux qui sont mieux nantis peuvent avoir une éducation de qualité tandis que ceux qui sont du pays réel peinent à avoir accès à l’éducation préscolaire.

Le festival est aussi pourvoyeur d’emplois, il est quelque part un espoir pour des jeunes qui arrivent à se faire un peu d’argent. Avez-vous un mot à leur endroit ?

Effectivement, nous travaillons à créer des opportunités afin que les jeunes puissent valoriser leurs compétences. Nous ne l’avons pas dit mais nous organisons des masterclasses pour les jeunes. Par exemple, l’année dernière, nous avons organisé des formations pratiques et théoriques en régie générale des spectacles vivants à l’endroit d’une trentaine de jeunes. Ceux-ci sont aujourd’hui employés ici à Afro Beat en appuie à l’équipe technique. Ce sont pour nous de modestes actions pour permettre aux jeunes de saisir des opportunités.

J’aimerai dire à ces jeunes que c’est un espace de rencontre, de valorisation de talent et d’affaires. On peut le constater avec les expositions et la valorisation des produits autour du site du festival. Dans un pays où des emplois se font de plus en plus rares, même si c’est de façon temporaire, Afro Beat permet d’être résilients, il permet de rêver, d’avoir une lueur d’espoir et de pouvoir penser à de meilleures perspectives tout en gardant l’esprit positif.

Nous supposons que tout n’est pas rose. Si vous rencontrez des difficultés, de quels ordres sont-elles ?

Les premières difficultés sont d’ordre financières en ce sens que plus les ambitions grandissent moins les soutiens les accompagnent. Alors que pour perpétuer un festival dans le temps, il faut une série d’innovations. Il faut un engagement profond et assez fort. Ces engagements ont un coup. Si ces coups ne trouvent pas preneurs, il y va de soi que nous puissions puiser dans nos propres fonds pour combler ce vide, ce qui pourrait détruire la démarche entrepreneuriale que nous avons.

Festival Afro Beat Onzième édition, Crédit image : Afro Beat

C’est donc un message à l’endroit des institutions crédibles qui peuvent nous accompagner. Nous souhaitons que ces institutions dotées de stratégies, de crédibilité et de visions puissent nous venir en aide. Nous avons surtout besoin d’un engagement beaucoup plus fort de la part de nos autorités, surtout pour qu’ils nous accompagnent à faire de ce festival une référence à l’image du FESPACO et du SIAO.

Je pense que nous ne sommes pas loin de ce degré de nationalisation du festival parce qu’en terme d’utilité publique, en termes de création d’opportunité, c’est quand même très énorme pour ne pas bénéficier de l’accompagnement de nos autorités. C’est vrai que le ministère de la culture nous appuie depuis un certain nombre d’éditions, mais nous pensons que cela doit aller au-delà du ministère de la culture.

C’est vrai qu’après cette édition, un rapport s’impose avant d’envisager quoi que ce soit mais peut-on déjà bénéficier de quelques mots concernant la prochaine édition ?

Disons que cette onzième édition a été pour nous l’occasion d’ajouter aux activités déjà existantes, deux autres grandes activités à savoir un gala de distinction et de reconnaissance des partenaires techniques et financiers ; volet qui a eu lieu en direct sur la télévision partenaire BF1. Mais, elle a aussi permis d’avoir des rencontres internationales sur les industries culturels et créatives, avec la participation d’experts venus du Mali, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso.

Festival Afro Beat Onzième édition

Pour nous, la douzième édition sera toujours dans la même tendance, avec un renforcement de cette ouverture internationale non seulement au niveau des rencontres internationales mais aussi au niveau de la programmation artistique comme on l’a vu cette année avec Serge Beynaud et Afara Tsena. L’idée est de permette de créer des opportunités pour nos artistes par ce que plus il y a des internationaux qui arrivent et plus cela favorise la collaboration avec nos artistes, avec nos acteurs. Nous allons donc renforcer ces deux volets tout en renforçant l’utilité sociale de ce festival en allant dans des projets en rapport avec pas mal de domaines comme celui du Wash (eau, hygiène et assainissement), dans le domaine de l’environnement etc. afin d’être au maximum utile à nos populations.

Propos recueillis par Issouf Koné, envoyé spécial à Ouagadougou

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