Le Mali a célébré le vendredi 11 novembre dernier la journée nationale des légitimités traditionnelles. La cérémonie d’ouverture s’est tenue au Centre international de conférence de Bamako. Elle a été un grand moment de reconnaissance et le témoignage de tout l’intérêt qu’accordent les autorités maliennes au rôle et à la place des autorités traditionnelles dans la gouvernance et la refondation de l’État.
Avant la colonisation et les indépendances ayant entrainé l’imposition des modes de gouvernance occidentales aux pays colonisés d’Afrique, les sociétés africaines étaient structurées de telle manière que le respect des traditions et des modes de gouvernance endogènes, adossés à la culture de ces dites sociétés étaient les outils de maintien de la paix, de la cohésion sociale, d’une cohabitation harmonieuse et de régulation de la société. Mais, les vicissitudes de l’histoire et les modes de gouvernance modernes ont presque renvoyés aux calendes grecques l’autorités de ces chefs traditionnels dans nos sociétés.
Les chefs de village, les chefs de fraction, les chef coutumiers et religieux entre autres ont ainsi vu leur autorité sapée au profitde nouveaux modes de gestion de la société. Ces chefs traditionnels, maillons incontournables de la société ne sont plus écoutées et leur autorité sont en voix de disparation. Plus qu’aujourd’hui, les autorités maliennes conscientes que rien de durable ne peut se faire, dans les villages, les fractions et ou les quartiers, sans l’implication et leur accompagnement, notamment dans le processus de la recherche de paix, de la refondation de l’État, ont décidé de rétablir, revaloriser le rôle des légitimités traditionnelles et de faire de nos ressorts culturels des puissants leviers de refondation en instituant, par le décret de mars 2022, la journée des légitimités traditionnelles qui sera désormais célébrée chaque année, à la date du 11 novembre.
Les légitimités traditionnelles et leur importance
La cérémonie solennelle d’ouverture de la 1ere édition de la célébration de la journée était présidée par le premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga. Elle a enregistré la présence de personnalités politiques, administratives, d’autorités coutumières de toutes les communautés du Mali, de présidents d’institutions de la république, de membres du gouvernement. Cette journée avait comme invité d’honneur le grand Sérigne de Dakar, Ibrahima Papa Diagne.
« Penser bâtir une société solide, dans ce monde en proie à une défiguration de ses systèmes de valeurs, sans nos légitimités, c’est faire le pari de la perte de nos identités et donc de l’échec de notre société », cette phrase du ministre de l’Artisanat de la Culture, de l’Industrie hôtelière du tourisme Andogoly Guindo lors son intervention à l’ouverture de la journée révèle toute l’importance et la place cruciale de ces légitimités dans le système de gouvernance de nos sociétés, de la nation malienne.
Retourner à nos valeurs que sont le maaya et le dambé
Avant ces propos du ministre, devant une salle de 1000 places pleine à craquer, un groupe d’artistes comédiens a proposé un spectacle de théâtre sur le rôle d’un chef du village dans la résolution de conflit et la préservation ainsi que la consolidation de la cohésion sociale. Dans ce spectacle, deux hommes, un éleveur et un agriculteur sont en conflit. Le premier fait passer son troupeau dans le champ du dernier qu’il accuse d’avoir fait du passage des animaux son champ. Cette querelle les conduit donc chez le chef du village qui, en toute impartialité et selon nos traditions règle ce conflit. Les deux protagonistes n’auront donc pas besoin d’aller devant la justice pour trancher cette affaire.
Ce spectacle met également l’accent sur l’un des pans importants de la culture malienne : le Sinakounya (cousinage à plaisanterie) qui est un outil incontournable de persévération et de la consolidation du tissu social dans la société malienne.
Le Mali, aux dires du premier ministre par intérim, Abdoulaye Maïga, ne renaitra de ces cendres que quand il retournera à ses sources que sont nos valeurs ancestrales à savoir le maaya et le dambé. C’est pourquoi, selon lui, le Chef de l’État, le Colonel Assimi Goïta a instruit au gouvernement de faire des valeurs ancestrales et culturelles le ciment de la refondation du Mali. « La journée de cette cérémonie dédiée au légitimités traditionnelles traduites la ferme volonté de faire du Mali une nation ancrée dans ses valeurs ancestrales », ajoute le premier ministre par intérim.
Une première édition saluée par les autorités traditionnelles
L’institution de cette journée, selon le ministre Andogoly Guindo, est le fruit d’une volonté incontestée et de l’engagement des autorités maliennes et du Président de la transition, de reconnaitre le rôle des légitimés traditionnelles dans notre société « Il y a un an, jour pour jour, le Président de la Transition prenait l’engagement solennel de consacrer une journée à la célébration des Légitimités traditionnelles, en reconnaissance de leurs rôles ô combien importants dans la construction de notre nation », a-t-il indiqué avant de féliciter l’ensemble du gouvernement et le Chef de l’État pour la prise de cette décision importante.
« Place et rôle des Légitimités traditionnelles dans la réconciliation nationale, la promotion de la paix, de la cohésion sociale et la refondation de l’État », était le thème retenu cette année. « Il s’agit à travers cette célébration, d’accorder l’audience et le crédit nécessaires à leur avis, dans la prise de décisions sur les questions de développement. En outre, il s’agit de s’appuyer sur leur système de gouvernance avec lequel elles parviennent à gérer, traiter, solutionner jusqu’à l’oubli, des problèmes ou des différends pour amorcer une véritable refondation de l’État », a expliqué le ministre Andogoly Guindo.
Le Patriarche Souleymane Niaré, représentant de la famille fondatrice de Bamako, après avoir exprimé toute sa fierté de voir les autorités maliennes prendre de fortes décisions quant à la valorisation et la reconnaissance du rôle des légitimités traditionnelles pour une bonne gouvernance du pays, a invité les légitimités traditionnelles telles qu’elles soient, nomades ou sédentaires à s’entendre avec l’administration dans le respect de chacun dans son rôle.
Une exposition photographiques d’anciennes légitimités traditionnelles et de légitimités contemporaines, des conférences-débats de haut niveau animés par des chercheurs et experts reconnus ont meublé cette journée de célébration qui a été saluée à sa juste valeur par les légitimités traditionnelles.
Un colloque international
« Celui qui renie son patrimoine culturel, spirituel se déshérite. En même temps qu’il ouvre une faille, il arrache une page dans le livre de l’humanité », cette citation de l’écrivain malien Amadou Hampaté Ba a été repris et par le premier Abdoulaye Maïga et par le ministre de la culture Andogoly Guindo au cours de leur intervention respective. Ceci reste une belle illustration de l’engagement des autorités maliennes à faire du patrimoine culturel matériel et immatériel du Mali, le ciment de sa refondation.
Par ailleurs, afin de pousser loin la réflexion sur le rôle et la place des légitimités traditionnelles à l’ère de la mondialisation et dans un monde en perpétuelle mutation mais aussi pour mieux assumer le leadership panafricain en matière de valorisation des savoirs et institutions endogènes, le ministère en charge de la culture a annoncé la tenue prochaine d’un colloque international en collaboration avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et les institutions de promotion de la culture et de la recherche scientifique.
Youssouf Koné