À Lomé, l’artiste Kwami Dodji Agbétoglo métamorphose un symbole ancestral en une sculpture résolument moderne, mêlant tradition et innovation dans un dialogue fascinant entre le sacré et le profane.
Dans son atelier Tayé Tayé à Lomé, Kwami Dodji Agbétoglo réinvente les Asen, autels du culte vaudou, en sculptures esthétiques mêlant bois et métal. Son approche audacieuse ouvre un dialogue entre tradition et modernité, redéfinissant les frontières entre sacré et profane dans l’art africain contemporain.
Un symbole ancestral réinventé
Dans cet atelier où chaque éclat de bois semble receler une âme, un Asen émergent, à la fois fidèle et déviant de son origine. Utilisé dans les pratiques vaudou pour les prières, les guérisons, et les rites de communion spirituelle, il porte en lui une charge sacrée indéniable.
L’audace de mêler sacré et esthétique
Dans sa maîtrise du bois et du métal, Kwami Dodji Agbétoglo n’a de cesse de questionner les limites de l’art. Ce qui était jadis porteur de symbolisme religieux se transforme sous ses mains en une recherche esthétique, une quête de beauté pure. Les clous, symboles de protection dans les rituels vaudous, deviennent des lignes géométriques qui, tout en conservant leur charge symbolique, deviennent aussi des éléments de composition artistique. Cette transformation, délicate et radicale, soulève la question du respect du sacré et de ses limites dans l’art contemporain. Comment, sans tomber dans la profanation, peut-on transcender l’objet religieux pour en faire un véhicule esthétique universel ?
Pourtant, sous la main de l’artiste, cet objet se dépouille de sa fonction première pour se réinventer. Ce n’est plus un simple support rituel, mais une œuvre de contemplation, un objet d’art où chaque clou, chaque gravure devient une interrogation esthétique. Ce geste de réinterprétation, loin d’être une banalisation ou une profanation, devient un acte de sublimation. Loin de nier les origines spirituelles de l’Asen, Kwami Dodji Agbétoglo en extrait l’essence pour en faire une métaphore vivante du dialogue entre le sacré et le profane. Son travail interroge la place du sacré dans le monde moderne et ouvre une réflexion sur l’art comme vecteur d’introspection spirituelle.
C’est là que réside l’audace d’Agbétoglo. Comme l’a souligné Wody Yawo, curateur et concepteur de l’exposition, « Dans une approche visant à prévenir toute forme de profanation du sacré, et bénéficiant d’une liberté d’exploration totale, les Asen employés par Kwami Dodji Agbétoglo s’inscrivent davantage dans une perspective esthétique que fonctionnelle. Ces œuvres demeurent des sculptures profanes animées par le désir esthétique de l’artiste de matérialiser ses rêves ou d’élucider ses doutes, ouvrant ainsi un espace pour l’imaginaire et une réflexion introspective. »
L’artiste béninois Romuald Hazoumé, par exemple, transforme également des objets traditionnels pour dénoncer la politique et les abus sociaux, apportant une critique mordante des pratiques contemporaines. Kwami Dodji Agbétoglo, pour sa part, s’aventure sur un terrain plus personnel, où la recherche de l’esthétique et la question du spirituel se croisent. Ses sculptures deviennent ainsi des espaces de réflexion, à la fois intimes et universels.
Un dialogue entre passé et présent
L’œuvre de Kwami Dodji Agbétoglo s’inscrit dans une démarche plus vaste, celle des artistes africains contemporains qui cherchent à intégrer leur héritage culturel dans un monde globalisé. En réinventant l’Asen, Kwami Dodji Agbétoglo participe à cette renaissance de la culture africaine où la tradition n’est plus un poids à porter, mais une source d’inspiration inépuisable. Loin de vouloir maintenir ces symboles dans un passé révolu, l’artiste les invite à s’inscrire dans une dynamique de réactualisation, en faisant de ces objets des témoins d’une époque qui cherche à renouer avec ses racines tout en se projetant vers l’avenir.
Loin d’être figées, ses œuvres sont un dialogue vivant entre les traditions ancestrales et le présent dynamique. Elles nous poussent à réfléchir sur le rôle de l’art dans notre société contemporaine et sur la manière dont les artistes africains, tout en rendant hommage à leur passé, répondent aux enjeux du monde d’aujourd’hui. Dans cet univers, l’Asen devient bien plus qu’un simple artefact ; il devient un lieu d’imagination, un vecteur de transformation et une réinterprétation audacieuse du patrimoine africain.
Kwami Dodji Agbétoglo nous invite ainsi à transcender les époques et les frontières culturelles. Ce qui était un pont entre les vivants et les ancêtres se fait désormais une passerelle vers l’imaginaire, un lieu de passage entre les mondes visibles et invisibles, qui nous force à repenser le rôle de l’art dans la société contemporaine. Au-delà de la simple transformation d’un symbole sacré, l’artiste crée un dialogue complexe et subtil qui nous interroge sur notre rapport au sacré, à l’art, et à l’héritage culturel.
Mahamadou Hassane