« On se raconte » est une pièce de théâtre entrainante portée par six jeunes filles de la région de Mopti. Le spectacle effectuait sa première représentation au festival Les Praticables, le 13 décembre dernier dans la cour familiale des Tall à Bamako-Coura. Créée sous la houlette de la dramaturge malienne Jeanne Diama, cette pièce se dresse comme un réquisitoire contre les maux qui entachent le quotidien des adolescentes.
Il est 20 heures dans rue 369 de Bamako-Coura, fief des Praticables. Devant la porte de la famille Tall qui accueille cette première d’« On se raconte », des spectateurs piaffent d’impatience de découvrir la pièce qui se « raconte » dans les coulisses de la 5e édition festival Les Praticables. Elle porte la marque de la comédienne et dramaturge malienne Jeanne Diama connue pour son engagement pour la cause féminine.
L’ambiance est conviviale. Les discussions font bon train. Encore un peu de patience. Et après quelques minutes d’attente, une voie depuis de la cour lance un « C’est bon, les gens peuvent s’installer. On va commencer ». Mais les voisins des Tall notamment les femmes et les enfants avaient déjà occupé les premières chaises. Les premiers arrivés s’installent et les autres se tiennent debout derrière les « praticables ».
Sur scène, six jeunes filles âgées de la quinzaine environ se tiennent debout, immobiles tenant chacune une lampe à pétrole à la hauteur de la taille et dont la lumière jaunâtre éclaire les visages mélancoliques. Plusieurs minutes après, elles déposent les lampes à leurs pieds au sol. La posture d’immobilité toujours maintenue. Leur silence au rythme de la musique de fond est pourtant parlant. Ce tableau est symbolique. Il semble laisser entrevoir les maux sur lesquels ces adolescentes s’apprêtent à mettre des mots. Mais avant, elles disparaissent avec leurs lampes.
Le foyer ou l’école ?
Elles réapparaissent et installent des chaises et une natte à même sol. Et le diadoque est ouvert. Le prochain tableau propulse sur la scène une nouvelle mariée en compagnie de sa mère et ses amies. Elles sont accompagnées par une griotte dont les louanges pleuvent au rythme des billets de banque craquants qu’elle reçoit. Le premier « mal » est afin dévoilé. Le mariage forcé. La mariée (Aïcha) est jeune. Elle veut aller à l’école et non s’occuper d’un foyer à son âge. Comme dans « Sous l’orage » de Seydou Badian, la question de conflit générationnel anime les tractations. Mais Aïcha est catégorique. Peine Perdue ?
Ce tableau sur le mariage forcé fait place à d’autres qui traitent chacun d’un thème spécifique. Il faut le dire, la pièce est un enchevêtrement de thématiques brulantes touchant les adolescentes de la région de Mopti et du Mali en général. Le terrorisme, les abus à l’école, l’immigration clandestine, la déscolarisation … sont autant de maux dont elles souffrent. « On se raconte » n’est pas qu’un simple plaidoyer sur les problématiques sur la condition de la jeune fille. Le spectacle est une révolte voire un appel au respect de droits fondamentaux de celle-ci dans un contexte de crise non négligeable.
Porteuses de messages
Ces jeunes comédiennes foulaient les planchers pour la première fois. Et on peut affirmer sans le risque de se tromper qu’elles ont réussi leur baptême du feu. Comédiennes néophytes, elles ont su porter le message en faisant vivre au public différentes émotions basculant entre empathie, compassion, mais surtout de la joie.
« Cette jeunesse est porteuse d’un message qu’elle souhaite que l’on considère. Nous avons quelques inerties dans nos sociétés qui font qu’on marche sur un pied. Bravo aux filles d’être les porteuses de leur message sur toutes ces problématiques qui les touchent », félicite, le styliste franco-malien Lamine Badian, fils du célèbre écrivain malien Seydou Badian. « A cet âge, en Afrique si l’on sait ce qu’on veut et ce qu’on veut être est très important. Je crois qu’il faut soutenir ces jeunes dans leur combat », lance Seydou Tall, spectateur.
« Mopti Yanka »
Cette pièce est l’un des fruits du programme « Mopti Yakan » de l’association Kuma So Théâtre à Mopti soutenu par l’Union européenne au Mali et la Coopération Suisse. C’est un programme, selon Lamine Diarra, le directeur des Praticables, « axé sur un écosystème favorable à la bonne gouvernance et à la redevabilité dans la commune urbaine de Mopti ».
Le texte a été écrit à la suite des débats d’idées sur les différentes thématiques susmentionnées qui touchent les filles de la région et conduits par la dramaturge malienne Jeanne Diama qui ensuite à aider à l’écriture, à la création de la pièce. « Je crois que cette pièce est représentative de tout ce que les filles vivent au quotidien à Mopti. C’est leur histoire. Elles l’ont écrite elles-mêmes », ajoute Diama.
Cette démarche est en droite ligne de la philosophie de la thématique de cette 5e édition des Praticables « Faire de rien quelque chose ».
Youssouf Koné