Les Praticables : « Génération B », parce qu’iels ne savent pas que Cabral vivra toujours !

Poignant, puissant, fort, saisissant, engagé…que des synonymes pour définir « Génération B », une belle création au programme des Praticables 2023. A voir une dernière fois ce jeudi 14 décembre, sous le coup de 20 heures au Fil (quartier du Fleuve).

Quand le rideau se lève, les regards sont tournés vers la scène pendant que des comédiens, perdus entre les chaises des spectateurs, traînent avec eux des marchandises qu’on ne voit pas. Impérialisme, colonialisme, néo colonialisme, corps à empoisonner, terrorisme…à vendre… Porta porti à 300 francs CFA, Boko Haram à 250 francs CFA, bombe atomique à 500 francs CFA etc. Bon marché et négociable en plus. Pour 50 francs CFA, on peut acheter toutes les animosités possibles.

Les Praticables : « Génération B »

Après une tirade assez longue, avancée par une comédienne, des mouvements de confrontations, la comédienne sur une table au milieu de la scène, le diable dans les cheveux sous l’œil gourmand des autres qui s’en réjouissent, visiblement une scène de séquestration, des vas et viens un peu confus pour le spectateur au départ…coup de théâtre ! Le public s’est fait avoir. Il est en train de voir du théâtre dans le théâtre.

Qu’est-ce que le théâtre ?

En effet, Génération B est un spectacle qui interroge sur la conception que l’on peut avoir du théâtre et son rôle dans une société. C’est quoi le théâtre ? Question existentielle à laquelle Dagnoko, l’un des personnages sera confronté quand il se révoltera suite à une journée de répétition qu’il a fini par trouver ennuyante. Cette journée étant tout ce que le public a pu voir avant la révolte de Dagnoko.

En effet, cela fait quatre mois qu’il travaille avec des collaborateurs sur la création d’une pièce qui n’est pas vraiment définie. La metteuse en scène à l’air perdue, ne sachant pas véritablement comment conduire la trame de l’histoire.

Les Praticables : « Génération B »

Plusieurs faits relatant les faits historiques relatifs aux combats et aux fins tragiques de leaders africains à savoir Amilcar Cabral de la Guinée-Bissau, Modibo Keita du Mali, Kwamé Nkrumah du Ghana, Patrick Lumumba du Congo et Ahmed Sekou Touré de la République de Guinée pour ne citer que ceux-ci, sont évoqués.

Cette question « Qu’est-ce que le théâtre ? », lui tombe dessus comme un fardeau. Un fardeau qu’il supporte avec force et honneur et réussit à conduire avec une volonté ferme. Toutes ses définitions du théâtre sont justes. Cependant, le « théâtre » qu’il souhaitait au départ, c’est-à-dire celui qui fait simplement rire est-il le seul théâtre qui doit exister ? Face au monde et toutes les injustices qui l’encombrent, le théâtre ne doit-il pas se donner une autre mission plus utile au-delà du simple divertissement ? N’est-il pas aussi fait pour soigner ce « palu social » qui bouffe de l’intérieur.

Iels ne savent pas

Le spectacle, mêlé à une projection sur un fond blanc est aussi un appel à voir le monde dans toute sa laideur, sa méchanceté, ses crises, ses contradictions. Les archives de leaders africains projetés ainsi que les visages d’enfants s’écriant en cœurs « Iels ne savent pas » questionnent sur tous les dérapages auxquels le monde, et plus précisément l’Afrique fait face.

La musique, le violon et la guitare, la lumière pleine, rouge, bleue, jaune, « Sanu negueni » de la cantatrice Tara Bouaré, chanson en lingala, en Swahili, les auteurs Christiana Tabaro et Michael Disanka, qui ont également assuré la mise en scène, à travers cette pièce, veulent mettre en avant des pans de notre histoire, les histoires de grands hommes africains, afin de participer à la construction d’une mémoire collective : « A travers cette pièce, nous avons décidé de mettre en avant des hommes et leurs combats, ceux-là qui ne sont pas forcément enseignés à l’école mais qui sont des grands ayant marqué notre histoire », confie Michael Disanka.

Les Praticables : « Génération B »

Le choix du « Iels » est assez calculé. Pronom personnel récent, il est neutre et parle donc à tout le monde. Aux hommes, aux femmes qu’ils ou elles soient hommes politiques, chefs de communauté, religieux, colonialistes, terroristes etc. Savent-iels que les enfants n’ont pas demandé à naître ? Savent-iels que le monde a juste besoin de paix ? Savent-iels que la paix n’est pas un vain mot mais un comportement comme le disait Félix Houphouët Boigny ? Qu’est-ce qu’iels savent ? Une chose est certaine : iels ne savent pas qu’Abdoul Karim Camara, sous pied sous terre, continuera à vivre.

Abdoul Karim Camara dit Cabral

Pourquoi s’en prendre à un garçon de 24 ans ? Où est Cabral ? Qui était Cabral ? Personne ne connaît vraiment Cabral. « Personne ne cherche à savoir parce qu’on pense qu’on connaît », cette réplique lâchée par un comédien, suivie de multiples questions, débouche sur l’une des thématiques essentielles du spectacle : l’histoire autour du combat et la mort du leader estudiantin Abdoul Karim Camara dit Cabral.

En effet, selon l’histoire, Cabral, alors étudiant en philo-pédagogie à l’École normale supérieure de Bamako, et non moins président de l’Union des élèves et étudiants du Mali (UNEEM), a trouvé la mort en 1980, au camp Para de Djicoroni, suite à une torture décrite comme étant l’une des plus violentes connues sous le régime de Moussa Traoré.

Les Praticables : « Génération B »

Les comédiens dans leur recherche, sont tombés sur des documents, des images et des témoignages sur la vie et le combat de Cabral. Un rappel des faits historiques, véritable cours d’histoire pour les spectateurs, a été lu et projeté en même temps au fond de la scène. « Nous avons bondi sur l’histoire, à la fois douloureuse et merveilleuse de la lutte de l’UEEM et de son secrétaire général Abdoul Karim Camara dit Cabral qui nous fascine en tant que jeunes africains. Cette histoire nous donne de la force, de l’espoir et du courage » explique le duo d’auteur et metteur en scène.

Dagnogo, finalement imprégné par l’histoire de Cabral et l’injustice qu’elle dévoile, a peut-être compris à quoi doit servir le théâtre, le « vrai ». Il a surtout compris que contrairement à ce qu’iels pensent, Abdoul Karim Camara dit Cabral vivra toujours !

Issouf Koné

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