Terminer cette cinquième édition du festival Les Praticables sans arracher quelques mots à monsieur Sékou Traoré, chef du quartier de Bamako Coura aurait été inconcevable. A 92 ans, il a fait preuve d’un dynamisme incroyable tout le long de l’évènement. Quatre questions.
Votre engagement pour cette cinquième édition du festival Les Praticables a été très remarquable. Qu’est-ce que ce rendez-vous culturel représente pour vous ?
Je rends grâce à Dieu pour commencer car c’est lui qui nous a montré ce jour. En effet, vous l’avez dit, le festival est à sa cinquième édition. A la première, j’avais 87 ans. Aujourd’hui, j’en ai 92. Les Praticables est notre bébé à tous. Nous l’avons commencé ensemble. Le fait que Lamine et son équipe aient choisi le quartier est un honneur. Ce festival représente tout pour nous. C’est un rendez-vous de joie, de rencontre, avec toutes ces personnes qui viennent de tous les horizons. Il permet de donner une image positive du Mali qui, rappelons le, est classé zone rouge.
Effectivement, beaucoup d’États, notamment européens, déconseillent le Mali à leurs ressortissants. Comment un festival comme Les Praticables peut-il aider le Mali à retrouver sa belle image d’avant 2012 ?
Tous ceux qui viennent d’ailleurs voient la réalité. Ils s’y confrontent. A leur retour dans leur pays, ils seront des messagers pour nous car ils iront dire que tout ce qui se raconte est faux. C’est ça la force d’un festival comme Les Praticables. Des gens qui viennent du Nigéria, de l’Ouganda, de la Côte d’Ivoire, du Congo, de l’Europe etc. ils verront des choses contraires à ce qu’ils entendent. Ils verront le côté hospitalier du Malien.
Le festival nous honore et nous permet d’avoir des témoins qui peuvent démentir beaucoup de choses qui se disent sur nous. Les images, les vidéos et les articles que vous les journalistes publiés permettent au reste du monde d’être connectés, de vivre Les Praticables à distance mais surtout de savoir que le Mali, malgré de petites difficultés comme tout État, se porte bien.
Rappelons aussi qu’un hommage vous a été rendu à travers la performance d’Ochai Ogaba qui mêle danse, projection sur votre parcours et une exposition photo. Qu’avez-vous ressenti durant le spectacle ?
A vrai dire, lorsqu’ils m’ont interviewé, je ne savais pas que c’était pour en faire un spectacle. J’ai par la suite été agréablement surpris. Très fier de ces jeunes qui ont pensé à moi. Le film, les images de mon parcours, c’est l’évocation d’un passé.
Ce spectacle m’a rappelé beaucoup de choses aussi concernant les rapports entre la France et l’Afrique. Vous vous imaginez qu’après la guerre trente-neuf quarante-cinq les blancs qui étaient là nous parlaient de la Normandie, de ses vaches et de ses prairies etc. comme d’un paradis. Ils faisaient tout pour attirer le petit « nègre » à aller en France parce qu’en ce moment la France avait besoin de main d’œuvre mais aujourd’hui nous sommes choqués de voir que cette même France repousse ces nègres là. C’est catastrophique ! Un festival comme Les Praticables est aussi un appel à l’union entre les peuples.
J’espère que le spectacle sur mon parcours sera utile à ceux qui l’ont regardé. C’est tout ce qu’on peut souhaiter. En tout cas, je leur dis merci encore. J’ai vraiment été honoré.
Vous l’avez dit, vous avez 92 ans. C’est quand même admirable de voir qu’à cet âge vous vous déplacez aisément, vous participez à toutes les activités. Quel message avez-vous à l’endroit des personnes du troisième âge qui pensent que les festivals, c’est seulement une affaire de jeunes ?
D’abord, je pense que la religion a été un frein à beaucoup de choses dans notre pays. Certains en me voyant se disent certainement « un vieux comme ça, qu’est-ce qu’il fait parmi les enfants là ? » Aux yeux des religieux vous ne pratiquez pas complètement la religion et aux yeux des autres, vous demeurez toujours l’enfant que vous étiez à 15 ou 13 ans. Voilà ! Je pense que tout est une question d’éducation. Un festival, ce n’est pas une affaire de jeunes ou de vieux. C’est une affaire de tout le monde.
Propos recueillis par Issouf Koné