En ouverture de la 5e édition du festival Les Praticables, une parade atypique a mis en effervescence les rues de Bamako-Coura, fief de l’évènement. La Parade des bouchers dénommée le « Babarba » est une déambulation traditionnelle folklorique venue tout droit de Mopti, carrefour des traditions millénaires.
C’est l’euphorie dans les rues de Bamako-Coura. La parade d’ouverture de la 5e édition du festival Les Praticables, tenue ce vendredi 8 décembre 2023, a fait découvrir et revivre l’une des pratiques ancestrales les plus attractives de la région de Mopti : la fête des bouchers. Au son du djembé (tam-tam), les danseurs, les manifestants, les hommes, femmes et enfants se tenant devant la porte de leur maison, les piétons, les motocyclistes, les automobilistes, les vendeurs ambulants et ceux qui jonchent les bordures des voies… tout le monde est spectateur et acteur de la parade.
De simple festin de rue, la parade s’est muée, comme par magie en une véritable déambulation folklorique des bouchers qui semblent surgir des entrailles de l’imaginaire des manifestants. Surprise. Car ils n’étaient pas au point de départ de la manifestation. Leur apparition soudaine dans les rangs des manifestants aiguise la curiosité dans les rues de Bamako-Coura. L’effervescence est à son comble. La foule de manifestants majoritairement jeunes se renforce au fur et à mesure qu’elle avance dans ce quartier populaire. Quelques moments de stupéfaction pour les plus jeunes qui brusquement se voient parader aux côtés des inconnus déguisés avec des peaux, cornes, queues et boyaux de vaches. Des costumes et pas danse traditionnelles attirent l’attention, subjuguent et transportent ce public hétéroclite. « Je trouve ça extraordinaire et fou. Je suis très impressionnée c’est magique. C’est puissant. Ça dégage une énergie assez folle », lance Marie, une touriste.
Une pratique à perpétuer
Originaire de la région de Tombouctou au nord du Mali, cette fête dénommée le « Abarbarba » est une pratique traditionnelle et folklorique qui a foncé ses racines solides dans les terres mopticiennes où elle est arrivée par le biais des bouchers venus s’installer dans la Venise malienne, il y’ a plus d’une centaine d’années, à en croire Abdoulaye Dicko, le chef de la délégation des bouchers de Mopti. Loin d’un rituel sacré, cette manifestation est une véritable fête, une célébration du métier des bouchers de Mopti. Une célébration à laquelle la population bamakoise a donné de nouvelles couleurs à cette occasion.
Cette fête annuelle qui avait été quelque peu délaissée pour cause de la crise que connait le Mali depuis une décennie, est aujourd’hui en train de renaitre de ses cendres. Aux dires des bouchers, cette fête est une sorte de sacrifice pour eux dont le travail peut être hanté par des mauvais esprits. « Nous avons reçu cette pratique de nos parents, eux aussi de leurs parents et aïeux. Nous avons donc le devoir de la perpétuer et Lamine et ses collaborateurs contribuent à cela en nous invitant à Bamako pour la montrer à un autre public plus large. Nous leur en remercions infiniment », salue le chef des bouchers.
L’art populaire
Cette invitation des bouchers est également une volonté ardente du directeur du festival Les Praticables, Lamine Diarra de revivifier l’une des traditions centenaires de sa ville natale qui aurait bercé son enfance. « J’ai décidé d’inviter mon petit chez moi à Bamako cette année et mes frères de Mopti ont répondu à mon appel. J’ai connu cette pratique dans mon enfance à Mopti et c’est un honneur et un grand plaisir de pouvoir la faire découvrir à d’autres personnes ici à Bamako», se réjouit-il. Pour cette parade, Lamine et son équipe n’ont pas lésiné sur les moyens. Ils ont fait venir à Bamako une forte délégation composée d’une cinquantaine de personnes.
Avec Les Praticables, le terme « art populaire » prend tout sens dans le quartier de Bamako-Coura, l’un plus vieux de la capitale malienne, durant toute la semaine du festival. Les Praticables est un évènement qui brise les murs qui séparent les populations n’ayant accès aux spectacles et les créations artistiques tout en les associant comme partie prenante des créations. Cette parade d’ouverture est un témoignage éloquent de cette philosophie du festival. « C’est incroyable ce que je vois, les voitures et les motos s’arrêtent pour donner la voie aux artistes. Cela veut dire pour moi que les nous sommes entrain de retrouver notre arme propre c’est-à-dire le théâtre populaire », nous confie l’écrivain malien Ousmane Diarra qui a fait tout le parcourt de la parade.
C’est désormais une tradition pour les organisateurs du festival de revisiter, à chaque édition, l’une des anciennes pratiques du riche patrimoine matériel et immatériel du Mali. L’édition de 2021 avait jeté son dévolu sur le mariage traditionnel. Que nous reserve la 6e édition en 2025 ?
Youssouf Koné