La 5e édition du festival Les Praticables est en cours à Bamako. Dans la liste des créations figure Sheda, un spectacle écrit et mis en scène par l’auteur dramatique et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna. Représenté trois fois dans le même lieu ( Cour des Tall près de la maison centrale d’arrêt de Bamako), Sheda est une peinture parfaite illustrant tout type de société en crise.
Nous sommes au cœur de la capitale malienne. Dans le quartier de Bamako Coura, à deux pas de la prison centrale. Noyés dans le décor saisissant des bâtiments hantés par le bruit des moteurs. Caniveaux bouchés, murs poussiéreux, rue étroite, le tout reflétant une vétusté tout de même drapée d’élégance. L’harmattan, cette année, n’est pas si poignante pour l’emporter sur le désir des âmes présentes.
Sur le goudron qui sépare la prison de la scène à ciel ouvert, des usagers ; motos et taxis se succèdent. De petites embrouilles naissent mais ne sont que de courtes durées. Ils s’affrontent à coup de klaxons, se traitent de moins que rien, se demandent les patronymes puis s’éclipsent le sourire aux lèvres, suite à de petites scènes de cousinage à plaisanterie.
Un décor inhabituel
Ce théâtre du quotidien retient moins l’attention parce qu’un autre est prévu : « Sheda », un spectacle écrit et mis en scène par l’homme de théâtre congolais Dieudonné Niangouna. L’artiste, durant plusieurs mois, a travaillé avec de jeunes comédiens africains pour arriver à un résultat respectable. Le Festival Les Praticables, dans le cadre de sa 5e édition qui se tient jusqu’au 17 décembre 2023, l’a programmé 3 fois.
Quand on intègre l’espace aménagé pour embrasser le spectacle, un décor inhabituel nous frappe. Les bruits diminuent, ils s’éloignent derrière nous, restent sur le goudron. Sheda a commencé. Il nous accueille, nous l’accueillons dans un univers captivant. La scène a quelque chose de naturel, d’exotique. Elle est vaste, assez grande pour être aisément occupée par tous les comédiens. La terre qui sert de praticable embrasse directement le ciel, le tout, entouré en grande partie par des briques prises en compte dans la mise en scène du spectacle et d’où les comédiens, en hauteur, vont et viennent, s’immobilisent où lâchent des répliques. Ces briques représentent une partie des montagnes qui cernent Kakuma, le village où tout se passe.
Au fond du décor, un assemblage d’éléments, visiblement de petite scènes, forment une sorte d’étagère où l’on peut entrevoir une quarantaine de creux occupés par des objets divers : masques, cornes d’animaux, boites de conserve…Juste à côté, une échelle.
Kakuma
Kakuma et ses Kakumiens sont perdus dans un trou au milieu des montagnes géantes. Dans ce trou, ce peuple ayant survécu à une catastrophe réinvente une civilisation qui s’apparente trait pour trait à celle des humains. Kakuma est très important pour l’auteur car il représente un univers assez panoramique et adéquat pour décrire le monde des humains dans toute sa complexité. Il invite à la réflexion.
Ce « nulle part », définition de Kakuma en Swahili, pourrait parallèlement se rapporter à partout, à chaque point de la terre en proie à une crise, à un dysfonctionnement. La guerre, la paix, l’amour, la haine, la vie, la sorcellerie, la croyance, la non croyance, le rêve, la souffrance, la science… toutes ces choses marquant le monde des humains sont abordés dans Sheda.
Les personnages, de la mastodonte au seigneur déchu, en passant par la chèvre brune ou le vieux qui passe le clair de son temps perché dans sa chaise à gauche de la scène, les tirades qui s’enchaînent, les chants et danses… tout est calculé pour mettre le spectateur face à un tas de questionnements, de réflexions sur le monde des humains et ses embarras, ses complications, ses choix, ses accidents, ses ennuis aussi mais surtout ses résistances. « La pièce aborde ce qui est propre aux humains quand ils sont dans une société en période de crise », résume l’auteur.
Issouf Koné