L’amour, le rêve, la passion, l’esclavage par ascendance, l’excision, le temps, l’insomnie, la vie d’artiste… ; moult thèmes sont visités et revisités dans ce recueil de slam et de poésie. Mêlant musique et engagement, l’auteur, Djéné Ibrahim l’a intitulé « Plume noire ». Il s’agit de son premier recueil, édité par La Sahélienne.
Très représentative de l’idée derrière le livre, la couverture déjà, dégage une envie soudaine d’aller en explorateur le long du contenu. Empreint d’une grande lisibilité, « plume noire » n’est cependant pas un corpus de textes faciles. Loin de là. L’auteur a décidé d’économiser les tournures complexes qui rythment la plupart des textes de poésie pour aller droit au but. Dès les premiers titres, on sent qu’elle a des choses à dire. Après lecture, deux éléments fondamentaux s’imposent : la thématique et le style.
Préfacé par l’écrivain et slameur Sory Diakité dit Saccharose, ce recueil qui vient de voir le jour aux Editions La Sahélienne, est à la fois un miroir, une arme de combat, un exutoire. L’auteur se livre tout en livrant un combat acharné contre bien des maux, avec la haine pour cible principale. Le manque d’amour la désole. Cet état d’esprit est bien mis en exergue depuis « j’écris », le premier texte du recueil. « J’écris en espérant adoucir les cœurs de ceux qui ressentent le mépris ». Plus loin, dans le même poème, on peut lire « Je trempe ma plume dans mes plaies et j’écris ». Ses plaies, en référence à ses peines, ses amertumes, ses tristesses, ses questions sur le monde qui la hantent et le fait qu’elle se sente « perdue ». « Parait-il qu’esclave je suis. Esclaves étaient mes ancêtres » et bien d’autres références renforce cet aspect engagement.
Djéné Ibrahim n’écrit pas que pour elle. Elle écrit aussi pour les autres. « Je n’ai pas une histoire personnelle avec l’esclavage par ascendance mais j’en parle car le problème est réel ici au Mali, beaucoup de communautés en souffrent », explique-elle. Le caractère universel de la thématique se dégage assez parfaitement du livre pour être perçu par quiconque s’y plonge. L’auteur a des idées d’évasion, de voyage. Tout comme Martin Luther King, elle a un rêve. « Celui d’aimer et d’être aimé(e) par quelqu’un d’autre que sa caste. Le rêve d’être éligible dans la société sur le plan politique et coutumier. Ce rêve d’avoir les mêmes droits que les autres dans ce pays », écrit-elle.
« Vers la guérison, Mon chez moi, Belle journée, Légende, Idées de voyage, La soupe au cop, Lien sacré, Flamboyant, Malienne ou encore Dji…», la presque trentaine de titres qui compose « Plume noire », en se dressant contre « La haine » met en avant, la quête de liberté. L’auteur y croit et appelle à croire en soi tout en restant soi-même « Travaille ta légende et laisse l’histoire te raconter », ordonne le dernier vers du dernier texte.
Du côté du style, Djéné Ibrahim a opté pour beaucoup de libertés sans pour autant compromettre la musicalité des textes. Elle a pris des risques qu’elle assume, histoire de booster sa créativité. On peut le voir avec des expressions familières comme « Il se la joue » dans le « silence parle ».
Les amoureux de textes tout de vers vêtus seront probablement surpris. Pas de textes rimés jusqu’au bout. Les rimes peuvent être sur les deux premiers vers, commencer au milieu ou surgir à la fin. Le procédé s’apparente clairement à de la prose: « C’est un choix. Parfois, en voulant obligatoirement rimer, on peut dire autre chose. Je préfère utiliser les mots qui font passer le message, qu’ils fassent rimer ou pas ».
La slameuse qu’elle est, écrit avant tout pour la scène. « Plume noire est un recueil de slam. Tous les textes sont écrits pour être slammés » confie l’artiste qui a déjà déclamé le numéro 16 du bouquin « J’ai un rêve ».
Recueil à penser, à lire maintenant.
La seule chose à déplorer, il n’est pas volumineux. On enrage de le terminer aussitôt qu’on l’a commencé.
Issouf Koné