J’ai épousé une terroriste » de Mamoutou Samaké est un roman d’enquête publié en 2020 aux éditions Gafé. L’ouvrage utilise le suspense pour cacher le fond du sac. Ainsi, la tension narrative est à son paroxysme. Le lecteur, sous l’emprise d’une excitation, est tenu en haleine jusqu’au dénouement de l’intrigue.
Le livre s’articule autour d’une action investigatrice (la fuite de Delphine) et le terrorisme demeure l’action à élucider. Les tensions et équilibres se heurtent à des incompatibilités (certains éléments sont anachroniques). Ici, les ingrédients sont réunis pour désigner un roman d’enquête : investigations (sur les traces de Delphine), un crime (terrorisme), un mode opératoire (guérilla), un mobile (un peu flou), une victime ou des victimes (la France et le Mali) et un coupable ou des coupables (Delphine et sa bande).
Samuel, employé d’une assurance en France et marié à Delphine, une française, trouve absente celle-ci à son retour du travail. Samuel est arrêté par les forces de l’ordre puis relaxé après sa déposition, mais on exige de lui une résidence assignée. À l’effet de fuir de probables ennuis judiciaires, Samuel se résout à quitter le territoire français et se réfugier à Misséni dans son Mali profond. À son arrivé à Misseni, il reste confondu face aux mutations que son village a connues à son absence.
Samuel se promène sur le site de l’orpaillage et le hasard met sur sa route Modi qui lui tient compagnie. Un convoi de ravitaillement d’une mine aurifère est attaqué, les terroristes en bande organisée tentent de les prendre en otage, mais leur manœuvre échoue grâce à la promptitude des force françaises à qui échoit la sécurité des personnels de la mine. Une fois les terroristes acculés à se replier, les forces françaises procèdent au ratissage qui aboutit à l’arrestation de potentiels suspects.
Samuel et son compagnon d’infortune Modi ne passeront pas entre les mailles du filet. Ils sont arrêtés puis relaxés, mais quelques incongruités soulignées lors de leur déposition les compromettent, surtout Samuel. Ils sont de nouveau arrêtés et Samuel saura que le fameux “Vigipirate” (service antiterrorisme) est à ses trousses. Il doit expliquer le lien entretenu entre sa femme Delphine et son cousin Jigui mort dans l’attaque et probable terroriste car les services des renseignements ont eu un cliché où il pose avec Delphine, supposée chef de la bande. La chute du roman ne précise rien. La soif inextinguible du lecteur s’accentue inexorablement, cela en fait sa force bien plus qu’un obstacle.
Quand on se réfère à la taxinomie de Gérard Genette dans « Nouveau discours du récit », une référence en matière de critiques et théories littéraires, nous trouverons que la focalisation est zéro : « le narrateur en sait plus que le personnage ». S’agissant de l’espace, il y en a deux dans ce livre, mais il y une passerelle entre les deux. Les personnages sont des traits d’union entre le Mali et la France.
Les agissements de Vigipirate et la forte présence des forces françaises au Mali pour sécuriser les multinationales empêchent toute démarcation de frontières. Le fil ténu de la narration est toujours rompu par l’analepsie et d’éternelles « ellipse temporelle » ou « ellipse narrative » qui masque une étape, c’est-à-dire une omission délibérée. Cela produit un effet d’accélération du récit et un perpétuel retour à la situation initial.
La singularité est une des caractéristiques de ce roman : se faire comprendre sans pour autant tomber dans l’excès. La fantaisie des personnages ou leur feu intérieur demeure la seule boussole qui oriente le lecteur. Ce roman est aussi une mosaïque de valeurs qu’elles soient au plan littéraire que social. Les personnages n’ont pas les mêmes valeurs. En effet, l’agent Deuil n’a pas la même compréhension du mot « frère » que Samuel qui le confond avec « cousin ». Est-ce une interférence codique ? En contact avec cette écriture aussi luxuriante que concise, le lecteur aura du mal à ne pas recourir à une gymnastique des méninges pour démêler : traditions, modernité, villes, campagne et bien au-delà. C’est en quelque sorte une peinture sociale, d’un monde nouveau quoique déliquescent avec en toile de fond le terrorisme, la dégradation environnementale et la misère humaine.
Une plume qui se révèle être une étude socio-psychologique dans une verve décapante. « La guerre faite aux pauvres dans le monde n’est pas seulement armée, la plus meurtrière est environnementale », se lamente le narrateur omniscient.
Un roman à cheval entre réalisme et onirisme voire une vibration qui rappelle que le rêve et la réalité sont en promiscuité. L’idéal est toujours un monde à l’abri de toute contrariété. Mais, cette aspiration se bute toujours contre une réalité choquante. La réalité ignorée demande à être présentée.
L’originalité de cette œuvre réside non seulement dans le choix du style d’écriture, mais également des thèmes abordés : terrorisme, dégradation environnementale, inégalité sociale, la misère, … J’ai épousé une terroriste a le mérite de nous rapprocher du quotidien. De singuliers héros, loin de ce qu’on aurait pu imaginer à leur sujet, sont sans relâche en résistance pour maintenir le brin d’étincelle qui ravive leur pétulance. Ils n’en sont que plus adorables.
Samuel, prisonnier de son intrigue et de son amour, à l’air, à son insu par l’angoisse permanente de se faire arrêter. Chacun des pas qu’il effectue pour se sauver le fait approcher inexorablement d’un tourment.
Amidou Yanogué (contributeur)
Amidou Yanogué est un enseignant et écrivain malien. Il milite pour la promotion des arts, singulièrement la littérature. Détenteur d’une Maîtrise ès lettres modernes obtenue à la FlSL à Bamako, il prépare actuellement un Master en littérature comparée à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.