Livre : « Le duel des grand-mères », un voyage rustique et linguistique coloré

Paru en janvier 2022, aux Editions Jean-Claude Lattès (France), le premier roman « Le duel des grand-mères » du jeune écrivain malien Diadié Dembélé, plonge son lecteur dans un univers rustique malien, riche de ses codes et de ses traditions à travers Hamet son personnage central.

L’école française, la cour commune à Bamako, la crise d’adolescence, les traditions maliennes… Le duel des grand-mères de Diadié Dembélé est une foison de thématiques d’actualité mais aussi un voyage rustique coloré malien à travers le personnage principal Hamet qui est envoyé au village afin qu’il s’approprie sa culture, une sorte de punition. La question de langues se retrouve au cœur de cette écriture éblouissante et pleine d’inventivité.    

Fils d’un immigré en France, Hamet vit à Bamako avec le reste de sa famille dont sa mère, dans une cour commune, bien qu’elle appartienne à son père. Déjà en déphasage avec son environnement, dominé par ses cousins venus du village, Hamet est un indiscipliné taxé de « petit blanc » qui semble marcher à contre-courant des codes de sa famille très attachée aux valeurs endogènes. A l’école, il est souvent puni pour ses bêtises. Hamet fait l’école buissonnière en trouvant des prétextes comme « les professeurs sont en grève » avant d’être démasqué. Tous les ingrédients sont réunis pour l’envoyer au village afin qu’il apprenne le respect, les traditions de sa famille le temps des vacances.   

Au village

Arrivé au village, chez sa grand-mère Mama Hata, (la mère de son père), Hamet est dépaysé. Là-bas, tout est différent : la nourriture, la langue, le mode de vie… Mais après quelques bouderies, il se résigne et finit par s’adapter et profiter de son séjour.

Hamet est mis dans le lot des enfants pour les travaux champêtres. C’est une aventure villageoise inédite qui commence pour celui qui va découvrir un nouvel environnement, mais aussi et surtout son identité, des secrets de sa famille. Un retour aux sources pour le jeune Hamet.        

Un duel linguistique, le symbole

Le véritable duel dans cet ouvrage, au-delà de celui qui oppose les deux grand-mères : Mama Hata et Mama Cissé et dont les causes sont liées à une histoire de famille lointaine plus qu’à Hamet, est un duel linguistique qui met en lice l’auteur et la langue française. En effet, afin de pousser les élèves à parler cette langue qu’ils apprennent à l’école, on leur impose le symbole (un objet généralement taillé en bois) qui est donné à l’élève qui parle une autre langue que le français à l’école. Celui qui fait effraction à cette règle hérite du symbole et paye quelques pièces d’argent si l’objet passe la nuit avec lui. Or, « A la maison, tout le monde parle songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof. Mais à l’école, personne n’a le choix. Il faut parler français ». Il devient donc un défi pour les élèves d’apprendre cette langue non pas forcement par nécessité mais pour échapper aux humiliations liées au symbole.

Cette situation pousse Hamet à véritablement s’intéresser à la langue française qui finit par le fasciner. Et pour prouver à son entourage qu’il la maitrise, Hamet « utilise du gros français très-très glacé… et des temps très-très compliqués », afin de « libérer son côté français ». Cette obsession à pouvoir parler le français est un duel passionnant auquel assiste le lecteur de cet ouvrage.

Les valeurs de la société traditionnelle

La sorcellerie, les conflits fonciers, les traditions, la condition de la femme, les problèmes d’héritage sont des thématiques qui rythment le séjour d’Hamet. Le rapport à la religion musulmane dans notre société n’échappe à l’observation de Diadié Dembélé qui dans un style comique interroge la place de cette religion dans une société pourtant toujours attachée à ses traditions.

L’esprit de cohésion et de solidarité qui caractérise la société malienne n’en est pas moins évoqué dans Le duel des grand-mères. Cet aspect est illustré par le bon voisinage des paysans, notamment la famille de Hamet et celle de son ami Seydou dont les champs sont contigus et dont il n’est rare de voir les membres des deux familles manger ensemble à l’ombre du fromager. Cette pratique qu’on retrouve au Mali est gage de paix et de cohésion dans nos sociétés, notamment en milieu rural. 

Si aujourd’hui, la pauvreté et les guerres sont plus citées comme les raisons principales de l’immigration clandestine, l’une des raisons du phénomène est sans doute liée aux problèmes de famille comme les conflits d’héritage. L’exemple palpable est le cas du père de Hamet qui a été contraint à l’exil par son oncle qu’il avait obligé à lui donner sa part d’héritage. Si l’oncle s’est vu dans l’obligation de le faire, Kaba lui n’aura plus la paix à cause de ce dernier qui lui rend la vie dure au village. Toute chose qui finit par le pousser sur le chemin de l’exil.

Un ouvrage très poétique

Le livre des Diadié met également en exergue certaines pratiques de la société traditionnelle malienne comme la pêche collective à laquelle Hamet a participé durant son séjour. Bien qu’aujourd’hui désacralisée, cette pratique ancienne est toujours perpétuée dans la société malienne. On peut citer le Sankè Mô de San dans la région de Ségou qui se tient chaque année à l’orée de la saison des pluies. Cette pratique séculaire se tenait pour la 622e fois au mois de juin dernier.

En plus de l’humour qui le domine, Le duel des grand-mères est un ouvrage très poétique dans lequel Diadié Dembélé se sert des mots bambara et soninké. Les interjections Samprain et Saziké sont plus utilisés par l’auteur pour exprimer l’enthousiasme voire l’étonnement de son personnage face à des situations.

Avec Le duel des grand-mères, Diadié Dembélé convainc par son talent d’écrivain et son esprit inventif qui font de ce premier roman une réussite littéraire bien accueillie par la critique.

Youssouf Koné

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