Livre : « Rattrapé par le passé » ou l’enfer du viol au Mali !

« Rattrapé par le passé » (La Sahélienne, 2022), de l’écrivaine malienne d’origine guinéenne Kadiatou Diallo, est un ouvrage poignant qui nous plonge dans l’enfer du viol notamment au Mali où le sujet demeure encore un tabou.

Une erreur de jeunesse et une tentative de rédemption, la nécessité et les défis de reconstruire une nouvelle vie après une expérience : voici ce qui constitue le fil conducteur de ce roman de 105 pages, le deuxième de l’auteure après Amour et liens du sang, paru en 2018 chez l’Harmattan. Tel un film policier, Rattrapé par le passé s’ouvre dans une prison où est détenu Charaf, le personnage principal du livre inculpé pour sa participation au viol collectif de sa cousine Maryam. C’est un flashforward dont l’auteure se sert pour donner le ton de l’intrigue de ce texte plein de suspens.  

Maryam est une jeune fille de seize ans, dotée d’une « beauté sans fioritures ». Orpheline, elle est adoptée par le couple Baldé, parents de Charaf. Le couple aime leur fille adoptive d’un amour inconditionnel tout autant que leur fils. Les deux jeunes fréquentent la même école. Ils y vont et retournent ensemble presque tous les jours, jusqu’au jour où Charaf décide, à la descente le soir, de ne pas rentrer avec sa cousine prétextant qu’il avait un travail à finir.

Le début de l’enfer pour Maryam

Sur le chemin de retour, Maryam est violée par un groupe de jeunes. Emmenée à l’hôpital, sous le choc, elle refuse de voir son cousin qu’elle accuse de l’avoir abandonnée au moment où elle avait le plus besoin de lui. Pire, elle accuse ce dernier de complicité. Gagné par le sentiment de honte et de culpabilité, Charaf décide de quitter ses parents et la ville.

C’est le début de l’enfer pour Maryam qui, après quelques temps de soins reprend l’école mais sera confrontée au regard et à la moquerie de certains camarades d’école. Malgré une prise en charge par des psychologues réputés de la ville, Maryam n’arrive pas à oublier son viol et se doit d’affronter chaque jour le regard de la société. Elle décide de quitter ses parents adoptifs en allant s’installer dans un pays voisin dans l’optique de construire une nouvelle vie. Son petit commerce y fait faillite mais elle rencontre un richissime homme, avocat de son état qui lui change la vie.  

Charaf devient un apprenti chauffeur et porte désormais le poids de son acte et en est hanté. Des années plus tard, les chemins des deux personnages se croiseront autour d’actions sociales visant à aider les victimes de viol, chacun motivé par son expérience de vie.

Charaf, l’ange et le démon ?  

L’amour, la solidarité, l’amitié, le courage, la famille, la culpabilité, l’héritage sont entre autres les thématiques abordées dans « Rattrapé par le passé ». A travers cette foison de thèmes, l’auteure entraine son lecteur dans les méandres du quotidien des personnages rongés par leur passé aux couleurs sombres.  

Le personnage de Charaf incarne une double facette : d’un côté le sage et le respectueux et de l’autre côté le démon, le violeur. Charaf est également un bel exemple de bravoure car malgré sa condition d’apprenti chauffeur, il arrive à payer ses études et passer son baccalauréat avec mention qui lui permet d’aller poursuivre ses études dans un pays maghrébin. Après ses études, il devient un célèbre sociologue au compte d’un organisme international mais toujours est-il qu’il porte le poids de son acte qui le suit partout et le hante les nuits.

Ce personnage soulève également le débat autour du statut d’apprenti chauffeur notamment des Sotroma (minibus verts utilisés dans le transport en commun à Bamako) sur lequel de nombreux concitoyens portent un jugement péjoratif, la pratique de ce métier étant associée à la toxicomanie et à la délinquance. Même s’il prenait quelques doses pour tenir face à la fatigue du métier, CHaraf est resté un jeune respectueux et honnête, ambitieux contrairement à l’image de l’« échec» qu’on colle à l’apprenti chauffeur dans la société malienne . Mieux, il économise pour construire sa vie. Tous les apprentis sont-ils des drogués et des irrespectueux ?

Le viol, le nœud de l’intrique de l’ouvrage est un crime bien réel dans la société malienne tout comme l’est le silence « obligé » des victimes. Et le tabou autour de ce crime semble être le maitre-mot.  Nombreuses sont les victimes du viol qui ont peur d’en parler pour diverses raisons. Si certaines redoutent les représailles des auteurs, d’autres ont peur de la réaction de la société parfois prompte à les juger au lieu de les écouter et les soutenir. Comme Maryam, les victimes de viol font l’objet de moqueries sous le regard accusateur de la société. Toute chose qui ne les aide guère à s’en remettre et avoir une vie normale. Les séquelles les suivent toute leur vie.

Pour un changement de mentalité envers les victimes de viol

Cet ouvrage présente quelques similitudes avec Contre vents et marées (Figuira Editions, 2021) de l’auteure tchadienne Dinguest Zenaba dont le personnage principal, Halima, poussée dans la rue par sa tante, tombe dans la débauche pour suivre et finit par contracter le virus du Sida. Après être sauvée et sortie de l’enfer du rejet et des stigmatisations, elle décide d’ouvrir un centre de prise en charge des personnes séropositives. Dans Rattrapé par le passé, les deux personnages, Maryam et Charaf décident de s’investir également dans des œuvres de bienfaisance en faveur des filles victimes de viol et de violence.  

La lecture de « Rattrapé par le passé » est d’une fluidité irréprochable. L’auteure de cet émouvant et passionnant récit a fait le choix d’un style simple et accessible mais « cette simplicité de style n’est aucunement simpliste pour autant. Elle résulte d’un travail de génie comme si Kadiatou Diallo avait choisi de rendre à son lecteur un texte accessible… », apprécie le préfacier Mohamed Diarra, remarquable auteur de polar au Mali. 

Rattrapé par le passé est un récit poignant qui démontre les conséquences liées au viol tant sur le plan social, psychologique que moral sur les victimes. Cet ouvrage invite avec zèle et intelligence à un changement de mentalité envers les victimes de viol dans nos sociétés.

Youssouf Koné

Partager l’article sur 

A Propos de L’auteur

Impossible de copier du contenu sur notre site.

Si vous avez besoin de quelque chose, contactez-nous (contact@konexionculture.com) !

Merci