Livre : « Sali » ou la critique de la justice

« Sali » est le tout premier roman du jeune auteur malien Sibirinan Zana Coulibaly. Dans cet ouvrage publié en 2019 chez La Sahélienne, l’auteur dresse le tableau d’une société qui, malgré le changement imposé par l’évolution, reste ancrée dans la tradition ancestrale.

Dans le village Yekaha, Sali, la première épouse de Sônan est présumée coupable d’enlèvement voire de meurtre de Fêere, une fillette d’un an et demi très charismatique, enfant de sa coépouse Mariam. Comme mobile de crime, on reproche à Sali d’avoir eu à la vieille du crime, une dispute avec sa coépouse. La disparition brutale de la fillette est mise ainsi sur le compte d’une jalousie ou du moins d’un règlement de compte.

Dans un premier temps, Sônan fait appel aux donso (chasseurs traditionnels) qui font office de police. Ils fouillent de fond en comble le village et ses environnants, leur recherche ne porte pas fruit : Fêere reste introuvable. Comme dernier recours, Sônan loue les services d’une prêtresse Lôhotcha, la danseuse. Contre toute attente, Lôhotcha indexe la mère de Mariam d’être derrière la disparition de Fêere. Sali est rétablie dans sa dignité.

L’homme ou le juge

 À travers ce récit, l’auteur tente une critique de la justice dans une société où les préjugés sont tenaces : un tableau peu reluisant où la prépotence mâle est de rigueur. L’homme étant celui qui a le plus de revenus, réunit sous son toit plusieurs femmes. L’homme se trouve ainsi dans un état affectif assez puissant pour pouvoir résister à la tentation des choix arbitraires. Pour faire plaisir à certaines épouses probablement plus jeunes ou par conformisme, certains époux deviennent injustes entre leur femmes. C’est le cas de Sali.

Excepté Lôhotcha, tous les justiciers sont des hommes, ils prennent les décisions importantes. Ils décident du sort des autres. La femme occupe un rôle de second plan. Elle veille sur la famille et obéit aux décisions prises par les hommes même si cela n’est pas juste. Par peur des représailles, beaucoup de voix discordantes s’éteignent.

La polygamie est socialement acceptable ici. Il n’est pas question de diabolisation de la polygamie. On la justifie même comme une valeur inhérente à la société traditionnelle. La société africaine est présentée comme toutes les autres sociétés avec ses singularités, et ses tares.

D’une investigation irrationnelle à une justice infaillible

Il ne s’agit pas d’abus de pouvoir, mais d’une conception de justice, une recherche de vérité qui usent des méthodes dépassant le cartésianisme dans les recoupements et confrontation des preuves. D’un point de vue profane, les paliers de l’instruction des dossiers frisent le ridicule, mais paradoxalement un moyen infaillible de rétablir les faits. Les justiciers usent de leur pouvoir occulte à l’effet de redresser les torts. Quoique illogique, avec cette méthode, on parvient à réunir les éléments liés aux crimes, d’immatérielles preuves déterminent le mobile des faits.

Le flair et les examens minutieux sont des compléments des informations fournies par des êtres suprêmes. Le mage devient ainsi un intermédiaire sûr entre les divinités et les profanes. Sa sentence est irrévocable puisqu’elle émane des êtres intelligiblement supérieurs donc elle ne saurait être sujet à l’erreur.

Pour prendre un certains recule des idées figées, l’auteur donne la parole à certains personnages à ce sujet. « Les erreurs judiciaires ne se rencontrent pas chez un seul peuple. Elle existe dans tous les systèmes à travers la terre, même les plus avancées.» p.99, Jacques s’exprime ainsi pour condamner l’humiliation et la torture faite à Sali. Le regard que pose l’auteur sur la justice n’est  altéré par aucune préférence d’ordre personnel; il décrit les réalités telles qu’elles sont.

Malgré les imperfections qu’elle ne puisse résulter, la justice de Yehaka n’est pourtant pas la plus hideuse des mondes. Nous avons ici un cheminement progressif de la pensée de l’auteur : il dénonce les mauvais traitements au cours des instructions. Comme un cas de conscience, Sônan demande pardon à Sali son épouse après l’avoir livrée aux justiciers tortionnaires.

Amidou Yanogué (Contribution)

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