L’ancienne conseillère politique de l’ambassade des Pays-Bas au Mali, Mirjam Tjassing, a publié en 2021 un livre intitulé « Mali, Château de cartes ». Un témoignage sur l’histoire récente du Mali. Entretien.
Kone’xion Culture : Pour vous, le Mali est un « château de cartes » ou doit-on comprendre le titre autrement ?
Mirjam Tjassing : Je suis arrivée au Mali en janvier 2012. A l’époque, ce pays était cité en exemple et avait encore à l’extérieur l’image d’une démocratie fonctionnelle. Et, en un temps record, une crise multidimensionnelle s’est installée. J’ai trouvé cela triste. Je voyais cette image de quelque chose de précieux qui venait de s’effondrer, un peu comme un château de cartes. C’est ce qui m’a inspiré le titre du livre. Je comprends le fait que le titre puisse heurter, car les gens peuvent s’attarder sur l’image et négliger le fond. J’accepte le débat. Je ne parle cependant pas des Maliens, mais plutôt d’un État qui, dans sa déliquescence, entraine avec lui la société malienne.
A quel moment avez-vous décidé d’écrire ce livre ?
J’ai commencé l’écriture du livre en 2015. Je voyais des diplomates arriver mais qui n’avaient pas d’importants souvenirs de ce qui s’était passé en 2012. J’ai constaté que leurs discours étaient plus focalisés sur les négociations, l’Accord pour la paix, la Minusma, etc. J’ai trouvé cela trop étroit et je me disais qu’il était important qu’ils sachent qu’on ne pourra pas résoudre le problème du Mali si on ne comprenait pas le Mali d’abord.
Je passais donc mon temps à leur parler pour « élargir » un peu leur champ de compréhension. J’ai un collègue qui m’a finalement dit qu’au lieu d’être tout le temps en train d’expliquer les choses aux gens, je ferais mieux d’écrire un livre. J’ai trouvé qu’il avait raison. Surtout que j’ai toujours voulu être écrivaine. J’ai finalement pris une autre direction. Et écrire ce livre a été en quelque sorte une manière de réaliser un peu ce rêve. Surtout que j’avais tellement de choses à dire.
Dans le livre, on retrouve pas mal d’anecdotes sur votre vie. Est-ce quelque part une sorte d’autobiographie ?
Effectivement, j’évoque beaucoup de choses qui me concernent directement. A la base, je voulais partager avec les Néerlandais ma petite connaissance sur ce pays vaste qu’est le Mali. En évoquant ma vie privée, j’ai voulu aussi montrer que quand vous vivez dans un pays en crise, diplomate ou pas, cela a un impact sur vous. Quand il y a un coup d’État, on le vit comme les autres. Cela vaut aussi pour les menaces terroristes. Je ne voulais pas que le livre tourne seulement autour de moi, mais j’ai aussi vécu la crise, je la vis en tant que résidente au Mali. J’en parle donc. Le livre est en quelque sorte ma vision, ma compréhension de la crise.
Vous évoquez les rebellions cycliques qui ont jalonné l’histoire du Mali depuis 1960. Pourquoi vous parait-il important de faire ce rappel ?
J’ai écrit le livre dans une démarche positive. J’ai évoqué le passé parce qu’il fait partie de l’histoire. J’ai raconté des choses peut-être choquantes, mais certains les ont portées comme un fardeau toute leur vie. Voir des gens du Nord comme des ennemis qui veulent uniquement détruire l’État n’est pas juste à mon avis. On n’avancera pas si on continue à nier ce pan de l’histoire. Quand ton père et tes frères ont été tués, tes sœurs violées, les puits de votre localité empoisonnés, tu ne peux pas oublier. A un moment donné, tu te diras qu’il faut faire la paix. Mais c’est difficile quand les gens persistent dans le déni de réalité.
Beaucoup d’efforts sont faits pour la paix, mais les résultats ne sont toujours pas à la hauteur des attentes. Est-ce un problème d’approche ?
Faire la paix est un travail qui demande beaucoup de volonté. Il manque peut-être de la sincérité. Quand j’étais à l’ambassade des Pays-Bas, nous avons financé énormément de projets qui visaient à réconcilier des communautés. Les gens se mettent ensemble, parfois péniblement. Ils élaborent de belles idées mais l’État est absent quand il doit prendre en charge certaines des conclusions. La volonté étatique est très importante pourtant.
Le fait que vous soyez une européenne vous a-t-il freiné dans la rédaction du livre ?
J’y ai beaucoup pensé, car je crains d’être perçue comme une donneuse de leçon. Je précise d’ailleurs dans le livre que c’est juste ma perception des choses. Je ne prétends pas du tout détenir la vérité et je n’empêche personne d’apporter son appréciation sur le sujet. Le livre est d’abord sorti en néerlandais, pour le public néerlandais. J’ai fini par le traduire en français, car je parle du Mali et je sais que c’est important que les Maliens sachent ce que j’ai dit. Pour ceux qui ne sont pas d’accord, le débat est ouvert.
Que proposez-vous pour transformer le château de cartes en un château fort ?
Avant d’aller aux élections, il faudrait qu’il y ait des candidats qui ont des programmes, des propositions réfléchies sur l’avenir du Mali. Des idées conçues par eux-mêmes et non par une autre organisation. Il faudrait que leur vision parle aux Maliens. Les Maliens doivent prendre les choses en main. Ils doivent se reconnaitre dans les idées des candidats. Je le répète encore, je ne suis pas une donneuse de leçon mais je demande aux Maliens de savoir à qui faire confiance et de ne pas voter pour quelqu’un juste parce qu’il a un beau boubou. Nous devons faire en sorte que les élections puissent donner la légitimité.
Propos recueillis par Issouf Koné
Cet entretien a d’abord été publié sur Benbere.org