Le guitariste, écrivain, photographe et producteur spécialisé dans la musique africaine, Banning Eyre, à travers cet article, partage avec nous l’ambiance relative au retour d’Oumou Sangaré aux Etats-Unis, dans le cadre de sa nouvelle tournée. L’émotion est au rendez-vous.
Après plus d’années qu’il ne faut compter, la reine de la musique Wassoulou, Oumou Sangaré, est revenue sur les scènes américaines en octobre. Quiconque a la chance d’avoir assisté à l’un de ces spectacles rares vous le dira : l’oiseau chanteur du sud sonne mieux que jamais. Présentant un superbe groupe international diversifié, parlant étonnamment bien l’anglais et présentant des chansons de son album de 2022, Tombouctou, ainsi que de nouveaux arrangements de quelques classiques, Sangaré reste une force de la nature sur scène. Nous avons assisté à ses débuts longtemps retardés à l’Apollo Théâtre le 29 octobre et à un spectacle extérieur gratuit à Providence, Rhode Island, le lendemain, les deux derniers spectacles de la tournée. Dans les deux cas. Sangaré et son groupe ont livré joie et extase, ravissant les fans et épatant les nouveaux venus.
Le spectacle Apollo, présenté par le World Music Institute, était particulièrement explosif, une date qu’elle anticipait clairement depuis son report en avril 2020. Ce spectacle s’est ouvert avec un set entraînant du percussionniste Will Calhoun et du Mali Project. Calhoun a voyagé au Mali et dans d’autres endroits africains pendant des années et a joué avec Sangaré dans le passé. La formation qu’il a mise en scène cette fois comprenait le bassiste / compositeur camerounais Francis Mbape et le maestro malien de la kora Yacouba Sissoko ainsi que d’autres sommités de la musique africaine basées à New York. Les musiciens ont échangé des solos et des voix principales à la manière d’une jam session collaborative, et tous ont brillé. Mais le vrai feu d’artifice est venu de la section des percussions. Calhoun est plus qu’un batteur monstre. Ses improvisations sont ludiques, complexes mais toujours musicales, totalement engageantes.
Le Mali Band de Will Calhoun
Le set de Sangaré a commencé profondément et lentement mais s’est rapidement accéléré dans des versions musclées et rock de chansons clés de Tombouctou. Vers le début, elle a pris le temps de raconter l’histoire de sa veillée de 2020 à New York, en attendant un retour à la normalité qui n’était pas dans les cartons. Dans un anglais prudent, clair mais imparfait, elle a décrit son attente. Une semaine, deux semaines, trois semaines… Trois mois ! Non, je dois faire quelque chose. Ce qu’elle a fait, c’est convoquer son homme de longue date kamele ngoni (harpe à courge pentatonique), Mamadou Sidibe, de Californie dans sa maison nouvellement acquise à Baltimore pour se lancer dans la création de l’album qui est devenu Tombouctou.
À l’Apollo, Sidibe a rejoint l’agile joueur de kamele ngoni du groupe Abou Diarra pour la première partie du set et la camaraderie était palpable. Ce groupe comprend des musiciens de Côte d’Ivoire, de la République centrafricaine, du Burkina Faso, du Mali et de France. Non seulement ce sont des solistes spectaculaires, chacun ayant le temps de briller par leur généreuse reine, mais ils forment une équipe de haute précision, parcourant facilement des riffs délicats en stop-time, échelonnant la gamme dynamique des chuchotements aux rugissements, clouant les grooves funky de la musique Wassoulou avec des sourires à revendre. Mention spéciale au guitariste abidjanais Julien Pestre. L’homme peut déchirer le manche avec bravade rock ‘n’ roll, tout comme Baba Salah, le guitariste de Sangaré, il y a longtemps, et il a clairement passé des années à intérioriser les idiomes de la guitare africaine, du soukous à l’afrobeat en passant par le blues bambara. Une autre belle touche était un danseur masculin aux membres en caoutchouc Sekou Keita, basé en Suisse, qui a honoré la scène à intervalles réguliers. Il a ouvert le spectacle ligoté dans des cordes dont il a lutté avec ostentation pour se libérer tout au long du numéro d’ouverture.
Mamadou Sidibé, Oumou et Sékou Keïta
Les chanteuses du groupe Emma Lamadji de la République centrafricaine et Kandy Guira du Burkina Faso étaient également exceptionnelles. Nous n’avons eu aucun des roucoulements haletants que l’on entend parfois de la part des choristes maliens ; ces dames chantaient à pleine gorge et frappaient. Pourtant, malgré tout l’enthousiasme que ce groupe puissant dégage, la voix de Sangaré domine facilement le paysage sonore. Sa voix est désormais emblématique, appréciée pour sa gamme de vulnérabilité déchirante – comme dans un nouvel arrangement de sa célébration de l’amour romantique de 1989 “Diaraby Nene” – à la protestation vigoureuse – comme dans le nouveau “Kele Magni”, un anti- chant de guerre – à une célébration exubérante, notamment sur le fougueux “Yalla”, qui a conclu son set dans les deux concerts. À l’Apollo, Calhoun a pris la batterie pour le rappel, souriant d’une oreille à l’autre.
Il est juste de dire que Sangaré a pratiquement fait sauter le toit de l’Apollo samedi soir. Après le spectacle, il y a eu un toast au champagne au bar et Sangaré a été assailli par des fans ravis, dont un inattendu, son ami et admirateur de longue date Jackson Browne.
L’après-midi suivant, tout s’est reproduit à District Park près du pont piétonnier au centre-ville de Providence par un dimanche après-midi exceptionnellement chaud et parfaitement ensoleillé. Ce spectacle était organisé par le percussionniste et pédagogue malien de Providence Sidy Maiga, un autre vieil ami de Sangaré. Il s’avère que c’est la quatrième fois que Maiga amène Sangaré à Providence. Chanceuse Providence !
Banning Eyre