Quelle place pour le streaming en Afrique et comment les artistes africains peuvent en profiter ? La préoccupation était au cœur d’une table ronde organisée le 1er février 2024 à l’occasion de la 20eme édition du Ségou’Art Festival sur le Niger.
Le monde évolue. Avec lui, la musique et la manière dont elle est consommée aussi. L’industrie, dans sa mutation, connaît des changements significatifs sur tous les plans, que ce soit au niveau de la production, de la vente ou encore du système de droit d’auteur.
Depuis la chute libre du format album physique (cassette, CD et Vinyle) survenu au début des années 2 000, avec l’avènement du piratage et l’arrivée des plateformes en ligne, les mélomanes ont été orientés vers un nouveau système de consommation à savoir le streaming. Très adopté aujourd’hui, cette révolution est le nouveau modèle par lequel les artistes essaient de s’en sortir en termes de vente.
« L’Afrique doit se positionner »
Par ce mécanisme qui consiste à écouter sur internet, on peut avoir des disques de certification (or, platine, diamant), à partir du nombre d’écoute ou encore conquérir facilement les différents continents. En effet, le numérique a brisé les barrières. Nous sommes loin de l’époque où les radios et télévisions nationales avaient le monopole de la distribution musicale. Aujourd’hui, en un temps record, les œuvres peuvent se propager un peu partout à travers le monde, du moment qu’elles soient en ligne.
La 20eme édition du Ségou ‘Art Festival sur le Niger a été l’occasion de réunir des experts venus du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso mais aussi de la sphère anglophone d’Afrique, afin de débattre de la question à travers le thème suivant : le marché du streaming musical et la rémunération des artistes. Autour de la table, deux panélistes : Guy Constant de la Côte d’Ivoire et représentant de Believe digital et le professeur Aziz Dieng du Sénégal qui travaille sur les questions de propriété intellectuelle à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
D’entrée de jeu, un chiffre intéressant qui interpelle : « Aujourd’hui, 70 à 80% des pourcentages de la musique enregistrée viennent du streaming », a déclaré Aziz Dieng pour mettre en lumière cette domination du streaming sur l’industrie musicale aujourd’hui, d’où l’importance pour l’Afrique de se positionner.
Les artistes africains peu rémunérés par les plateformes de streaming
Les jeunes africains, plus de 60% qui ont moins de 24 ans, n’ont pas vraiment connu l’époque des cassettes, des CD et des vinyles. Ils ne consomment que sur internet via le téléphone, à travers les plateformes connues comme Youtube, Spotify ou encore Deezer. Ils constituent une part importante du marché du streaming car leurs écoutes sont prises en charge dans le système de comptage et de rémunération des artistes.
Bon nombre de plateformes de streaming, en revanche, ne rémunèrent malheureusement pas les artistes africains. Juste une poignée de pays sont pris en compte dans le processus de monétisation par YouTube : Afrique du Sud, Algérie, Égypte, Ghana, Maroc, Nigéria, Sénégal, Tanzanie, Tunisie, Ouganda, Zimbabwe.
On constate dans cette liste, l’absence de pays très importants en termes de production et de consommation musicale : la Côte d’ivoire, la RDC et le Mali…. L’argument selon lequel les pays africains ne rapportent pas assez sur le plan publicitaire, selon Guy Constant, est discutable.
La diaspora, éducation
Sur la consommation musicale à travers les plateformes de streaming, l’Afrique est surtout représentée par sa diaspora. « 70% des revenus YouTube de l’Afrique sont générés par la diaspora africaine » a souligné Guy Constant pour mettre en exergue le fait que tout soit une question d’éducation. Il faut juste doter l’Afrique de moyens nécessaires et faire comprendre aux gens que le monde ailleurs est désormais concentré sur le modèle Banking. Tout comme on peut acheter de la nourriture, des vêtements ou encore une voiture sur internet, on peut payer un abonnement pour y écouter aussi de la musique.
Il y a aussi beaucoup d’artistes africains qui sont réticents quant au modèle de streaming. Il y a également un grand travail à faire sur ce plan, a déclaré Guy Constant.
Réinventer notre culture
Face à cette situation, les propositions ont plu de partout. « La culture n’a jamais été la priorité de nos Etats. Nos dirigeants doivent arrêter de la voir comme un élément folklorique, qui ne sert qu’à distraire », a déclaré l’artiste sénégalais Didier Awadi.
« Il faut demander aux pays africains de supprimer YouTube de la liste de leurs plateformes de diffusion en ligne s’ils refusent de rendre éligible tous les pays africains. Ils seront obligés de venir négocier », a proposé pour sa part le journaliste culturel Mory Touré, promoteur de Radio Africa.
« L’Union africaine doit se saisir de cette question pour la faire avancer sur tous les plans », ont préconisé plusieurs voix pour terminer.
Issouf Koné