#Ségou’Art-FSN19 : quand la danse interroge sur l’extrémisme violent dans le sahel

Les danseurs et chorégraphes maliens Lassina Koné et Samuel Coulibaly, avec la contribution de l’acteur de cinéma Abdoulaye Magané, ont représenté, à la 19e édition de Ségou’Art-Festival sur le Niger, une performance de danse qui peint le tableau sombre d’une société en proie à des crises existentielles. 

Dans le catalogue du programme officiel de la 19e édition du Ségou’Art-Festival sur le Niger, le spectacle a été nommé « Djo ka Filè » mais, il serait sans titre selon le chorégraphe Lassina Koné. Peu importe. Ce qui est évident c’est que la pièce interprétée par les deux artistes est évocatrice à plus d’un titre. La condition misérabiliste et des tableaux sombres de l’extrémisme violent interpelle le spectateur dans cette performance qui lui laisse une grande ouverture d’interprétations. 

Alors que le public commençait à se disperser après un premier spectacle donné par la chorégraphe malienne Bibata Ibrahim Maïga, son attention a aussitôt été attirée par deux hommes qui se faufilent et entraînent trois poussepousses à traction humaine. Des poussepousses avec comme garde-fous de vieilles feuilles de tôles. Nous ne sommes pas dans le marché d’un faubourg de la capitale Bamako mais plutôt dans le fief de Ségou’Art-Festival sur le Niger, sur les berges du fleuve Niger à Ségou, situé à environ 240 km nord-ouest de Bamako.

Lassina Koné

Un silence parlant 

Durant environ une heure de temps, les deux chorégraphes et leurs poussepousses ont donné à réfléchir, à méditer au spectateur. Le contact des danseurs avec les poussepousses est souvent distant mais parfois intimiste. Un lien très fort semble les lier. Il y a de l’énergie, de la douceur mais aussi de la douleur qui se dégagent de leur corps qui donnent parfois l’impression d’être pris de l’envie d’un ailleurs que leur environnement de nature. La douleur et parfois la peur se lit sur leur visage et dans leurs mouvements corporels. Tout est mouvement mais aussi silence. Un silence parlant plus que les mots. Des mouvements qui poussent à plus d’attention que des voix.     

Ces chariots à deux roues servent généralement au ramassage des ordures, surtout dans les marchés. C’est une pratique assez fréquente à Bamako. Il consiste à transporter des ordures des marchés vers des dépotoirs parfois éloignés du point de départ. Les tôles utilisées comme garde-fous permettent de transporter plus de charges à la fois pour éviter des allers-retours.

Un tableau sombre     

La situation des conducteurs de poussepousses qui pour la plupart les louent contre une recette journalière assez dérisoire peut faire écho à leur condition de personnes vivant dans la précarité. Le mouvement, le tournoiement des deux artistes ne s’estompent pas. Ils s’attirent, se repoussent sans briser ce lien qui les rapproche l’un de l’autre.

Le spectacle éveille davantage la curiosité du spectateur au moment où les artistes décident d’enlever les feuilles de tôles servant de garde-fous sur les poussepousses pour les superposer les uns sur les autres. L’un performe sur les tôles pendant que l’autre trace un cercle autour. Ce dernier verse ensuite du carburant suivant la ligne circulaire avant d’y mettre le feu.

L’artiste au milieu du cercle est entouré par les flammes. En ce moment époustouflant du spectacle, un homme barbu enturbanné (l’acteur de cinéma Abdoulaye Magané) se détache du public et vient se mettre auprès du cercle de flammes et commence l’appel à la prière. Le muezzin, le cercle de flammes, l’homme au milieu des flammes… Un tableau sombre. Cette scène sur laquelle se ferme le spectacle laisse le spectateur dans un foisonnement de questionnements.

Des jeunes désœuvrés

Cependant, d’un autre côté, le parallèle avec les poussepousses peut facilement s’établir quand on sait que ce sont les jeunes désœuvrés sans perspectives d’avenir qui deviennent les proies faciles pour des groupes terroristes qui disent combattre au nom d’un idéal religieux en mettant à feu et à sang des villages d’innocents.

Lassina Koné

Toutefois, les flammes et cet état chaos créés peuvent faire écho à toutes attaques terroristes et de conflits armés subis par les populations maliennes depuis le début de la crise multidimensionnelle aggravée à un certain temps par des conflits intercommunautaires ayant sévi dans le nord et le centre du Mali devenu le théâtre des opérations de ces groupes terroristes et des groupes d’autodéfense. Les chorégraphes veulent-ils nous rappeler les atrocités, notamment les massacres qui ont marqué cette crise dont celui d’Ogossagou ou de Koulognon dans le centre du Mali, afin que ces actes ne se reproduisent plus jamais ?  

L’art est un moyen efficace de faire passer un message, surtout sur des sujets dont l’évocation de manière ouverte devient problématique. La danse contemporaine, encore peu connue au Mali, entend jouer sa partition. Un combat auquel contribue déjà la compagnie Don Sen Folo – Lab de Lassina Koné dont des initiatives comme l’expérience Filé ni kilé (festival de danse) prennent d’assaut les espaces publiques comme les marchés pour non seulement faire découvrir cet art mais aussi faire passer des messages.

Youssouf Koné/Issouf Koné, Ségou’Art-Festival sur le Niger 2023             

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