Juriste de formation, le photographe malien, Seydou Camara, fait partie des meilleurs de sa génération. Sa particularité réside dans son engagement à porter la voix des sans-voix et à mettre de la lumière sur le riche patrimoine culturel du Mali. Portrait.
La délégation malienne représentée par la Fondation festival sur le Niger à la 15e édition de documenta à Kassel (Allemagne) fait rayonner les couleurs maliennes. Arts plastiques, théâtre, cinéma, littérature, musique, photographie sont entre autres les disciplines qui y sont présentes.
Dimanche 3 juillet 2022, une parade au cœur de la ville de Kassel, avec les œuvres de l’artiste photographe malien Seydou Camara, sur la société initiatique malienne «Kôrèdugaw» a drainé un public de grands jours mettant ainsi le projecteur sur l’un des rares artistes maliens à participer pour la deuxième consecutive à cet important rendez-vous mondial artistique. La première participation du photographe à Documenta fut lors de la 14e édition, en 2017, à travers la galerie Madina. Il y pressentait alors une série sur les manuscrits anciens de Tombouctou.
Une enfance de passionné
Pas surprenant quand on sait que Seydou Camara et ses œuvres ont sillonné le monde à travers une trentaine d’expositions collectives et individuelles. Il a notamment exposé un peu partout en Afrique, en France, en Italie, en Suède et aux Etats-Unis. Ses œuvres sont collectionnées par le musée de Philadelphie (Museum Philadelphia of Art, Etas Unis) et la galerie Eva Lotta en Suède.
Né à Ségou (Mali) en 1983, Seydou Camara est épris de photographie depuis sa tendre enfance, attiré par les portraits accrochés dans la maison de ses grands-parents qui l’ont élevé. Cet intérêt pour ces photos le pousse à les reproduire sur du papier : « Mais je n’arrivais pas à le faire comme je le souhaitais », se rappelle-t-il. Néanmoins, ses efforts ne seront pas vains car cela lui permet de devenir un excellent dessinateur. « Je dessinais tellement bien que j’étais sollicité par des camarades et cousins pour faire leur dessin de biologie et de géographie en classe. »
Le grand artiste-portraitiste Daffé, aux portraits de femmes peules parées de grosses boucles d’oreille qu’il croisait les matins sur le chemin de l’école, son amitié avec des grand-frères dessinateurs du quartier et les traditionnelles séances photos pour la postérité au studio du célèbre photographe de la cité des Balazans, Adama Kouyaté, les jours de la fête durant sa jeunesse à Ségou, sont autant d’éléments qui ont aiguisé cette passion de Seydou Camara pour l’art de la photographie.
Les débuts à Bamako
En 2007, Seydou fait la Licence à la Faculté des sciences juridiques et politiques (FSJP) à Bamako. Les grèves interminables des enseignants perturbent les cours. Les journées d’écoles deviennent longues et sans éclat pour les étudiants soucieux de leur avenir. C’est là que la passion de la photographie revient titiller le jeune Seydou. « Un jour, j’ai demandé à un photographe de la faculté où on pouvait faire une formation en photographie », confie-t-il.
Ce dernier lui a indiqué le Centre de formation en photographie de Bamako (CFP). « On a commencé en argentique, ensuite nous sommes allés vers le numérique. Ma chance c’est que j’ai participé à beaucoup de workshops en photographie d’art, organisés par le centre et une autre formation de deux ans qui m’a beaucoup apporté. »
Toutefois, Seydou ne s’arrête pas aux formations reçues au centre. Sa curiosité et sa soif d’apprendre ce métier qui le fascine tant le poussent à faire des recherches sur internet et à acheter des magazines, notamment des numéros du célèbre « Chasseur d’images » afin de se perfectionner : « Une heure coutait 1000 francs CFA à l’époque au cyber café », se remémore-t-il.
« Bibiana », la série qui change tout
En 2009, la capitale malienne accueillait la 8e édition de la Biennale africaine de la photographie avec comme thématique « La frontière ». Si beaucoup de candidats ont choisi de travailler sur la brulante actualité de l’immigration, Seydou se démarque : « Je me suis posé la question de savoir si la question de la frontière est seulement géographique et ma réponse a été non.» Il décide donc de tourner l’objectif de son appareil vers l’albinisme qu’il voit comme une frontière : « Lorsqu’un enfant à la peau banche naît de parents noirs dans une société comme la nôtre, il y a là une frontière car il y a une marginalisation.»
Cette série sur la difficile condition des personnes atteintes de l’albinisme rencontre un grand succès car elle finit par figurer dans la sélection officielle des Rencontres de Bamako. L’autre originalité de ses œuvres provient de l’appellation donnée à la série : « Bibiana ». Ce nom était inspiré de Bibiana Mbushi, une fillette tanzanienne albinos dont la jambe a été amputée par des trafiquants d’organes humains en 2007. Un acte odieux qui avait indigné le monde à l’époque. Seydou était loin d’imaginer tout le succès rencontré par son travail. « Je n’ai pas reçu de prix cette année-là mais, ce travail m’a ouvert des portes. »
La première porte a été celle du journal français Le Monde qui le sollicite pour la réalisation d’un reportage sur le chanteur malien Salif Kéita qui venait de mettre sur le marché son album « La différence » (2009) en défense de la cause des albinos. Suivront des sollicitations d’autres gros titres internationaux comme Libération, l’Express, One World entre autres. Il a aussi été sollicité par de nombreux catalogues et magazines comme l’Insensé et Aperture d’autres organisations internationales comme l’Agence des nations unies pour les réfugiés (HCR), le Programme des nations unies pour le développement (PNUD), New Vision, World Vision, I4for Africa…
Engagé par sa photographie
Juriste de formation, (Maîtrise en droit des Affaires), celui qui rêvait d’une carrière d’avocat se considère désormais comme un photographe-défenseur. « Pour moi, la photographie c’est d’abord la rencontre, définit-il car elle me permet d’aller vers les autres. Ensuite, tel un avocat, je me considère comme un défenseur des personnes victimes d’injustices à travers ma démarche artistique. Ma photographie est celle des sans-voix. Je suis la voix des sans-voix », se définit l’artiste dont les séries « Bibiana » et « La chambre nuptiale » en sont une parfaite illustration de ce combat. La première dénonce les traitements infligés aux albinos dans nos sociétés et la deuxième interroge l’iniquité de la chambre nuptiale où la société est plus regardante, stricte sur la virginité de la jeune fille que celle du jeune garçon. « C’est une manière pour moi de dénoncer les injustices dans notre société ».
L’autre combat de l’artiste, au-delà de la défense de la cause des couches vulnérables, est sans nul doute la valorisation du patrimoine culture du Mali, qu’il photographie sans artifices ni fioritures depuis des années. Les manuscrits de Tombouctou, La mosquée de Djénné, la société initiatique « Kôrèdugaw », qu’il expose actuellement à Kassel en Allemagne dans le cèdre de la 15e édition de l’événement. « Nous avons le devoir de préserver notre patrimoine culturel pour les générations futures. Chacun peut participer à ce noble combat. Ma contribution est de mettre en lumière cette richesse avec le déclencheur de mon appareil-photo », nous confie-t-il.
Yamarou photo
Président du comité de pilotage de l’inter biennale à Bamako (Phot’Art Mali), Seydou Camara est membre fondateur du Collectif d’image conceptuelle et fondateur du collectif Yamarou Photo qui se veut un espace d’échange, de rencontre et surtout de formation autour de la photographie. « A Yamarou photo, nous voulons démocratiser l’art de la photographie à travers des formations adressées notamment aux jeunes en milieu scolaire. Nous contribuons également au renforcement de capacités des professionnels de la photographie », explique Camara. L’objectif de Yamarou photo est de faire de Bamako « la véritable » capitale de la photographie africaine en contribuant à l’émergence de nouveaux photographes et en changeant les mentalités concernant l’art de la photographie au Mali.
L’un des projets qui lui tient actuellement à cœur, en plus de finir son Master en management culturel à l’Institut Kôrè des arts et métiers de Ségou, est de créer des studios Kôrèduga un peu partout dans le monde afin de contribuer à la sauvegarde et à la promotion de cette société initiatique malienne aux fonctions sociales qui est, depuis 2011, inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, nécessitant une sauvegarde urgente.
Youssouf Koné