La salle Youssouf Tata Cissé du Centre culturel Kôrè de Ségou a abrité ce samedi 21 octobre 2023, une table ronde sur les mécanismes de financement des industries culturelles et créatives (ICC). Ce cadre d’échanges a permis aux différents participants de faire des propositions et recommandations pour des financements locaux des ICC dans les pays africains.
Le premier Salon des industries culturelles et créatives d’Afrique de l’ouest (Siccao) qui se tient 20 au 22 octobre 2023 à Ségou (Mali) accorde une place importante à la recherche et la proposition de pistes de solutions à la professionnalisation du secteur culturel et surtout à l’émergence des industries culturelles et créatives (ICC) en Afrique.
En droit ligne de cet objectif, s’est tenue, ce samedi 21 octobre 2023, au Centre culturel de Ségou, une table ronde autour du thème : « Quels mécanismes de financement innovants pour l’émergence des industries culturelles et créatives en Afrique de l’ouest ? ». Cette table ronde a réuni des personnalités culturelles et politiques, des cadres du secteur privé, des directeurs d’évènements culturels d’envergure d’Afrique ainsi que des artistes respectés du continent.
« Nous sommes réunis aujourd’hui pour parler des Industries culturelles et créatives et non de la culture entant que vecteur de paix et de cohésion sociale. L’autre aspect fondamental de la culture. Tout le monde est témoin de cette capacité de la culture dans la résolution des conflits à travers le monde. Mais nous allons plutôt parler aujourd’hui de la dimension économique de la culture, les ICC », a introduit Mamou Daffé, Président de la Fondation festival sur le Niger, l’initiatrice du Siccao avec ses partenaires du Réseau Kya et du Fonds africain pour la culture (ACF).
La professionnalisation du secteur culturel
Selon M. Daffé, quand on parle des ICC, on parle de la chaine de valeur qui est constituée de trois éléments essentiels à prendre en compte à savoir, dans un premier temps, les questions de financement. « Tout part de là », insiste-t-il avant d’ajouter : «On ne peut rien faire sans les ressources financières. Il devient donc urgent et important de trouver des mécanismes appropriés et adaptés à nos différents contextes.»
Le deuxième aspect important dans les questions des ICC est, selon lui, est la professionnalisation du secteur et de ses acteurs. Du moment où nous intégrons l’aspect économique de la culture, nous devenons des entrepreneurs. Il faut trouver les moyens de créer de la richesse pour soutenir nos actions culturelles et donc des ICC.
L’autre aspect est la question de la souveraineté financière. « Notre argent vient d’ailleurs. Aujourd’hui nous parlons beaucoup de décolonisation, mais est ce qu’il n’est pas important de nous décoloniser financièrement ?», interroge M. Daffé qui précise que la : « question n’est de se détourner de bailleurs étrangers, mais nous pensons qu’il faut aussi créer les conditions optimales afin de mettre en place des fonds locaux dirigés par des locaux.»
S’affranchir des modèles de dépendance
Abderrahmane Kamaté, récemment nommé directeur du Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa) évoquera deux angles à savoir la création de sources de financement locaux en s’inspirant des modèles qui existent déjà chez nous comme le Fonds Maaya et le Fonds africain pour la culture (ACF) et l’implication des africains dans l’élaboration des programmes de financement extérieurs qui leur sont adressés : « Il nous faut des bailleurs locaux. Le modèle auquel nous sommes habitués que ce soit les opérateurs culturels ou même nos Etats est un modèle de dépendance. Il faut que les africains comprennent que la coopération n’est pas faite pour développement des bénéficiaires. On lui donne ce qu’il faut pour survivre. Donc, il nous faut des initiatives locales. Ces initiatives locales existent mais il faut seulement qu’on les multiplie », insiste-t-il.
Et si nous devons recevoir des fonds venant de l’extérieur, il faut s’assurer que ce soient des fonds qui nous aident réellement à nous développer. Selon M. Kamaté, il faut que l’Afrique soit associée à la prise de décessions la concernant : « Il faut que nous soyons en capacité de promouvoir nos experts, nos techniciens là où les décisions sur la faisabilité des programmes de développement en Afrique sont prises. Ces intellectuels, nous les avons et qui peuvent influer sur les décisions et la conception des programmes dans l’intérêt des africains qui reçoivent les financements », ajoute-t-il.
Acteur incontournable du secteur privé malien, Mossadeck Bally, PDG du groupe Azalaï, intervenant dans l’industrie hôtelière et non moins le Président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), est très attentif à l’évolution du secteur culturel en Afrique. « En 2020, les ICC ont représenté près 3% du PIB des Etats africains. Ce qui n’est pas négligeable. C’est un chiffre assez significatif en terme de création de richesse. Mais malheureusement on estime que les Etats africains n’accordent qu’entre 0,3 et 0,4 % de leur budget à la culture », informe M. Bally, par ailleurs l’un des ambassadeurs du Fonds africain pour la culture (ACF).
En termes de propositions, le Patron des patrons du Mali propose la mise en place des micro-financements destinés aux PME des ICC, aux start-ups, à la création de fonds de garantie des industries culturelles, au financement participatif, au droit d’auteur ainsi que la création, par nos Etats, des fonds d’appui au secteur culturel.
Des pays qui font un peu mieux
« Nos Etats ont promis d’octroyer 1% de leur budget à la culture mais cela n’a jamais été fait. Nous pensons que la solution, la vraie, à nos différents défis contemporains est culturelle. Il faut que nos Etats comprennent cela et participent à l’émergence des ICC en Afrique », insiste Mamou Daffé.
Cependant, les politiques de certains pays africains comme le Sénégal ont compris l’enjeux du financement des ICC en mettant en place des politiques culturelles avec des mécanismes de financements locaux, assez respectables, dédiés à des sous-secteurs de la culture. Khoudia Diagne, directrice des arts du Sénégal, participante à la table ronde de Ségou donne quelques chiffres de financement dédié aux arts par le gouvernement sénégalais.
« Depuis 2012, nous avons vu la mise en place des fonds de l’Etat dédiés à des sous-secteurs de la culture comme l’industrie cinématographique qui bénéficie d’un montant de 2 milliards de francs CFA. On a un fonds dédié à l’industrie du livre et de l’édition estimé à environ 750 millions de FCFA et un fonds de développement des cultures urbaines qui passe de 600 millions à 1 milliard de francs CFA », renseigne-elle.
L’artiste plasticien, Abdoulaye Konaté n’est pas non plus contre l’aide extérieure tant qu’elle nous aide. Mais il estime lui aussi qu’il faut plus compter sur nous-mêmes. Pour ce faire, il faut l’implication de trois parties prenantes selon lui : « Quand on parle de fonds endogènes, nous avons trois éléments qui peuvent nous aider à développer notre culture. Il y’a dabord l’Etat, les mécènes, les entreprises privées et les artistes. Si ces trois éléments travaillent ensemble, ils peuvent nous permettre de financer des ICC », explique celui qui est considéré aujourd’hui comme l’un des grands artistes donneurs au Fonds africain pour la culture (ACF). M. Konaté encourage les autres artistes qu’ils soient musiciens, cinéastes ou intervenant dans d’autres disciplines artistiques, de contribuer au financement des ICC, ce qui va permettre de soutenir et d’aider les plus jeunes à évoluer.
Les ICC et le numérique
L’une des grandes innovations actuelles des ICC est le numérique. Aujourd’hui, avec l’apparition des plateformes de vente en ligne, les moyens de distribution traditionnels de la musique et du cinéma ont quasi-disparu. La distribution de la musique se fait à travers des plateformes de streaming qui font des chiffres incroyables. Des chiffres auxquelles l’Afrique est quasiment privée malgré sa créativité artistique. « Les vraies plateformes de vente de musiques africaines par exemple sont ailleurs, pas en Afrique. Pourquoi ne pas donner des fonds conséquents à des opérateurs locaux pour leur permettre créer des plateformes dignes de ce nom pour vendre nos musiques comme le font toutes ces grandes plateformes de streaming à travers le monde », propose M. Daffé.
A titre d’exemple de financement local, M. Daffé, cite le Fonds Maaya qui célèbre sa 10e année au mois de novembre 2023. Ce fonds, selon lui, a financé plus de 2 000 projets en ses 10 ans d’existence. « Ce fonds est arrivé à proposer des produits extraordinaires notamment un salaire annuel à des centaines d’artistes durant la période du Covid-19. Nous pensons qu’il est important de réfléchir à comment trouver des mécanismes locaux comme ce fonds afin d’accompagner les acteurs culturels », conclut Mamou Daffé.
Le Président du Patronat malien, Mossadeck Bally a exprimé l’engagement de son institution à accompagner les acteurs culturels dans la mise en œuvre des pistes de propositions qui seront issues de cette table ronde voire du Siccao autour des ICC.
Youssouf Koné