Grâce au projet Parole de corps, un programme artistique mis en place en 2019 par Famu Danse (une compagnie malienne de danse), des jeunes déficients auditifs maliens ont pris goût à la danse et au théâtre. Ils souhaiteraient qu’une école d’art leur soit dédiée. En attendant, en 2022, quatre ans après la mise en place du programme, ils sont nombreux à participer à des projets artistiques.
Nous sommes en 2019. Des adolescents atteints de déficience auditive, sélectionnés dans le cadre du projet Parole de corps, sont en répétition à l’école pour déficients auditifs de Bamako (EDA).
Les efforts d’Adama Bambera sont remarquables. Il saute, se courbe, bouge la tête et les pieds en même temps que ses amis. Aucun détail de la chorégraphie ne lui échappe. Âgé de 10 ans, il est le plus jeune de la troupe de danse du projet « Parole de corps », composée d’une vingtaine d’adolescents. Tous des sourds-muets issus des écoles pour déficients auditifs (EDA) de Bamako, Ségou et Koutiala.
Le petit Adama et ses camarades sont fatigués. Ils poursuivent tout de même la répétition sous l’œil attentif du chorégraphe Yayous Bakanu Sanu. « Nous n’avons plus que deux jours avant la restitution. C’est plus que jamais le moment de corriger les petites imperfections », déclare le mentor.
Maitres du mouvement
Un quart d’heure après, une pause de 10 minutes est accordée. Le petit Adama peut enfin soupirer. « C’est fatiguant mais j’aime », témoigne-t-il en langue des signes via un traducteur. Grace à ce projet, Adama confie avoir compris que son handicap n’est pas une fatalité.
Le projet Parole de corps est une initiative de Daouda Keita, chorégraphe professionnel, fondateur de la compagnie Famu Danse, une association culturelle créée en 2017 à Bamako.
En 2018, l’artiste s’était rendu à l’école pour déficients auditifs de Bamako. Après un long échange avec les élèves, il dit avoir découvert quelque chose de si naturel et de si captivant dans la langue des signes, que l’idée de se perfectionner auprès d’eux lui vint à l’esprit : « Un bon danseur doit être le plus naturel possible dans ses mouvements. Les malentendants ont déjà ce naturel car ils se familiarisent avec le mouvement depuis tout petit. Ils en sont les maitres et nous les handicapés », dit-t-il.
« Ne négliger personne »
Au Mali, l’insertion socioprofessionnelle des jeunes handicapés demeure un véritable casse-tête. Beaucoup n’ont pas la chance de terminer les études : 90% des jeunes déficients auditifs s’arrêtent juste après le diplôme d’études fondamentales (DEF), témoigne M. Balla Keita, ancien directeur de l’école pour déficients auditifs de Bamako.
L’explication que donne M. Balla est que ces jeunes ne sont pas accompagnés. « Lorsqu’ils arrivent au lycée, ils peuvent se retrouver dans des salles de classe d’une quarantaine d’élèves et être les seuls déficients auditifs. Ça devient alors difficile pour eux de suivre les cours au même rythme que leurs camarades, car les professeurs ne comprenant pas la langue des signes. »
Ainsi, ces enfants voient leurs droits les plus élémentaires bafoués. Une situation qui complique davantage l’un des objectifs principaux du programme 2030 des Nations unies. En 2019, à l’occasion de la journée mondiale des personnes handicapées, António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, déclarait à juste titre : « Garantir les droits des personnes handicapées, c’est être fidèle à la promesse qui est au cœur du programme 2030 des Nations unies : ne négliger personne ».
Pas d’évolution malgré les plaidoyers
L’école pour déficients auditifs de Bamako, créée en 1993, ne comprend que trois niveaux : la maternelle, le fondamental et le lycée. Grace aux efforts de l’Association malienne des sourds (AMASOURDS), elle permet aux jeunes déficients auditifs d’avoir accès à l’éducation de base.
AMASOURDS se bat, depuis de longues années, pour garantir l’accès à l’éducation aux déficients auditifs. « C’est toujours compliqué, affirme M. Demba Diallo, président du comité de gestion de l’école pour déficients auditifs de Bamako. Malgré nos plaidoyers auprès des autorités, rien n’a changé. Tant que les enfants ne seront pas accompagnés de traducteurs au lycée, ça sera difficile pour eux d’avancer. »
Très peu d’entre eux accèdent à l’université : « À cause de leur handicap, ils sont nombreux à ne pas dépasser le lycée. Ils se retrouvent alors sans qualification et leur insertion dans la vie professionnelle devient très compliquée », selon Demba Diallo.
Inclure les déficients auditifs
Depuis la mise en place de ce projet, les jeunes bénéficiaires ont retrouvé le sourire. Ils pensent qu’avec une école d’art, ils auront l’occasion de mieux apprendre.
L’organisation humanitaire VOICE, en 2019, a salué l’initiative en décidant de la soutenir à hauteur de 97 millions de francs FCA. Un volet théâtre, dirigé par l’association Kuma Sô Théâtre, a été créé : la danse étant toujours assurée par Famu Danse de Daouda Keita : « Le projet nous a séduits. Quand Daouda nous a approchés, nous avons jugé la cause tellement noble que nous avons accepté de la soutenir. On souhaite d’ailleurs faire de Parole de corps un festival », explique Sitan Coulibaly, responsable lien, apprentissage et communication Voice à Oxfam.
« Ces jeunes, dans leur communauté, sont généralement marginalisés. À travers ce projet, ils ont compris qu’avec l’art, ils peuvent s’affirmer et s’insérer dans la vie socioprofessionnelle », résume Daouda Keita. Adama Bambera, quant à lui, est rassuré d’avoir trouvé sa voie : « Je veux être un grand danseur comme mes maitres Daouda et Yayouss. Avec une école d’art, je crois fermement que j’y parviendrai », espère l’adolescent.
Quatre années après
Le samedi 16 juillet 2022, une parade artistique dans le cadre du projet « Platik Toxik partout », un programme de lutte contre la pollution de l’environnement, est organisée à travers la ville de Bamako. Youssouf Diarra, Sidi Doumbia, Djaminatou Kamissoko et Alhassane Maiga, tous les quatre, produits du projet Parole de corps sont sélectionnés pour y participer. La joie se lit sur leur visage. Leurs parents sont également très heureux pour eux, fiers de savoir qu’ils peuvent se faire un peu d’argent mais surtout se sentir utiles.
Parmi eux, Youssouf Diarra et son ami Hamidou Mariko (de l’école pour déficients auditifs de Ségou), qui prendront part à la 7e édition du festival de danse « Fari Foni Waati », qui se tiendra en 2023 à Bamako.
Daouda Keita, au vu de tous ces résultats, ne cache pas son émotion : « Aujourd’hui, quatre ans après, le projet est devenu un espoir pour beaucoup de parents dont les enfants sont atteints de déficience auditive. Ils sont de plus en plus nombreux à nous appeler pour nous demander de penser à intégrer leur enfant dans le projet, et cela nous touche énormément », termine-t-il.
Issou Koné