Théâtre : « Adieu belle-mère sorcière », le karma  

La troupe féminine de l’association Côté cour a présenté lors de la 7e édition du festival Arts femmes, tenue du 17 au 19 mars 2023 à Deguela situé à 80 km de la capitale Bamako, une pièce théâtrale intitulée « Adieu belle-mère sorcière ». L’intrique de cette pièce tragique est la parfaite définition de l’expression « retour à l’envoyeur. »

Entre belle-mère et belle-fille, c’est rarement la belle histoire dans la société malienne. Ce sont parfois des relations tendues sur fond de jalousie et de méchanceté aux issues peu enviables, parfois tragiques. C’est le cas dans le spectacle Adieu belle-mère sorcière de la troupe féminine de l’association Côté cour de Bamako, organisatrice du festival Arts femmes.

Théâtre : « Adieu belle-mère sorcière », le karma  

Cette pièce qui pouvait s’intituler Le karma est une tragédie qui met en scène une belle-mère et sa belle-fille. La première déteste la deuxième pour la simple raison qu’elle n’arrive pas procréer. Provocations, mensonges, humiliations, injures et passage à tabac rythment le quotidien de la belle-fille dont le mari se tient toujours du côté de sa mère et rend plus infernale la vie de femme de foyer de son épouse. Une épouse qu’il est censé protéger.

Le retour à l’envoyeur

Et comme si toutes ces humiliations ne suffisaient pas, la belle-mère décide d’empoisonner sa belle-fille. Malheureusement, c’est son fils qui en sera victime en mangent le repas empoisonné. Comme le dit un proverbe bambara, « La margelle du mauvais puits finit par s’effondrer en lui-même ». Avant de rendre l’âme, le fils découvre ainsi cette face cachée de sa mère qui jouait toujours l’innocente. L’homme reconnait le tort d’avoir cru à ce qui lui était raconté sur sa femme. Un retour à l’envoyeur comme on le dit qui provoque un choc insoutenable chez la mère qui est prise de folie.

Cette pièce pointe du doigt l’un des problèmes récurrents dans la société malienne. Elle attire l’attention sur ce phénomène que vivent de nombreuses femmes dans leur foyer et dont certaines en sont victimes sous plusieurs formes. Les causes pour certaines ne sont aucunement liées à leur infertilité mais tout simplement au fait que leur tête ne plait pas à leur belle-sœur ou à leur belle-mère qui met tout en œuvre pour créer des dissensions entre le mari et elle, en usant de stratagèmes peu orthodoxes.

Théâtre : « Adieu belle-mère sorcière », le karma  

Une mise en scène fluide

L’intrigue de la pièce nous rappelle le film Toulaye de la réalisatrice malienne Salimata Tapily projeté en avant-première le 8 mars dernier au Cinéma Magic de Bamako. Une sœur divorcée revient dans la maison paternelle et par jalousie, elle monte sa mère et son frère contre sa belle-sœur. Son frère qui croit à ses mensonges montés de toutes pièces, violente sa femme. Cette dernière ne supportant plus les coups et les humiliations au quotidien demande le divorce.   

Le respect des traditions et la soumission imposées par la société deviennent une prison pour des femmes mariées victimes de tout genre de violences (physique, psychologique…). Et le mari toujours absent de la maison croit à tout ce qu’on lui raconte. L’homme qui pense devoir tout à sa mère fait l’autruche. Il ne veut pas attirer la malédiction de sa mère à cause de sa femme.  

La pièce est écrite par Awa Samaké et Mohamed Ag dans le cadre des ateliers de dramaturgiques du festival Arts femmes 2022. Elle traite d’une thématique d’actualité mais sous une forme peu vue encore sur les planches au Mali. La pièce dont la mise en scène a été assurée par l’acteur-comédien et metteur en scène en Issa Coulibaly a été magnifiquement portée par les 6 comédiens dont 4 jeunes dames. Chaque comédien a su apprivoiser son rôle parfois excellemment. L’occupation scénique et la rigueur dans le jeu d’acteur ont beaucoup été à la hauteur.  La mise en scène est d’une grande simplicité. Sur un fond noir, le metteur en scène a opté pour le décor d’une cour familiale avec un escabeau, quelques ustensiles de cuisine et souvent une bassine de lessive.

Avoir le sens du discernement

Malgré sa crudité à travers notamment les situations que vit la belle-fille, la pièce arrive parfois a volé quelques fous rires aux spectateurs notamment sur les séquences du fou « prophétique » dont les paroles et gestes sont empreints d’humour. Ce fou conseille mais aussi menace la belle-mère d’arrêter la maltraitance sur sa belle-fille au risque d’être victime d’un grand malheur. Ce qui arriva finalement.

Théâtre : « Adieu belle-mère sorcière », le karma  

La pièce est également ponctuée de chants en chœur des comédiens sur le sort de la femme dans la société malienne très conservatrice et patriarcale. Ces passages chantés permettent au spectateur de souffler avant la prochaine scène d’émotion.  La régie a aussi été l’une des clés de réussite de cette représentation. Elle a surtout aidé dans les transitions entre les différentes séquences notamment pour le changement de décor qui se bascule entre la cour familiale et l’espace de vie du fou.    

Cependant, le spectacle n’est pas exempté de toute reproche. Il serait préférable que le rôle du fou et du voisin soit attribué à des hommes au lieu des femmes qui ont déjà d’autres rôles dans le spectacle. Ce double rôle quelque peu inapproprié peut être vu comme un handicap du point de vue du spectateur. Aussi, le rôle du policier qui intervient suite à de la dénonciation du voisin semble être improvisé.   

Adieu belle-mère sorcière est une pièce sensibilisatrice. Elle interpelle sur les actes inhumains dont la femme mariée est victime dans nos sociétés. Mais elle lance surtout un appel aux hommes qui prennent à l’emporte-pièce tout ce qui leur est raconté dans les familles sur leurs épouses. Tout n’est vrai comme tout n’est pas faux. Cependant, le sens du discernement doit rester de mise face à toutes les situations afin d’apaiser le climat familial voire sauver des vies.

Youssouf Koné  

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