Théâtre : « Douroudimi », la mort et l’argent !

La pièce de théâtre intitulée « Douroudimi », du dramaturge Burkinabé Moussa Sanou, représentée le jeudi 14 avril dernier à Acte Sept de Bamako se dresse comme un questionnement de l’injustice humaine et du sort reversé aux pauvres dans la société actuelle.

Malgré la fatigue du jeûne que la communauté musulmane observe en cette période de canicule au Mali, une belle brochette de passionnés du théâtre a pris d’assaut la cours de l’association Acte Sept pour venir découvrir la pièce de théâtre Douroudimi, écrite et mise en scène par le dramaturge et comédien burkinabé Moussa Sanou, invité à Bamako dans le cadre des ateliers du Chantier dramaturgique de l’association Anw Ka Blon.

C’est un couple que la lumière propulse sur la scène : le rôle du mari Douroudimi, le personnage éponyme de la pièce, est interprété par le dramaturge et metteur en scène de la pièce Moussa Sanou, lui-même et Anastasie Sanou, qui prend Djouma sur scène : sa femme. Les deux forment un couple de démunis qui se chamaille dans la chambre conjugale car le mari licencié de son poste de gardien depuis 8 mois, refuse d’aller chercher un autre travail et passe le clair de son temps à la maison, à demandé incessamment le lit à sa femme qui, excédée, se révolte contre le comportement oisif de ce dernier, désœuvré qui ne pense qu’au sexe. 

C’est un véritable pugilat verbal qui oppose le couple à chaque fois que le mari demande à sa femme de s’acquitter de son devoir conjugal. Cette dernière, visiblement déçue du comportement « irresponsable », refuse sous prétexte qu’ «il n’y ait pas que ça à faire » et que si son mari souhaite obtenir ce qu’il désire, qu’il sorte chercher du travail et « défendre son honneur ». Mais Douroudimi n’attend pas les choses de cette oreille et décide lui aussi de bouder sa femme un temps soi peu.   

Injustices sociales et hypocrisie humaine

Cependant, la trame de la pièce ne se limite pas à la chambre conjugale et à la condition misérabiliste du couple. Douroudimi est surtout un miroir qui se promène dans notre société et nous reflète les injustices qui s’y passent au quotidien. La pièce s’adosse, en effet, au thème de la mort pour dénoncer certaines injustices sociales et l’hypocrisie humaine. Ce fait s’illustre par la mort, le même jour, de deux hommes, tous deux voisins immédiats au couple Douroudimi : Mama, un vieux menuisier vivant dans la précarité et Fatièma, un richissime homme politique, travaillant dans le gouvernement et vivant dans l’opulence. Tandis que l’annonce du décès du premier se fait dans la rue, de bouche à oreille, celle du second passe en boucle sur les antennes de la radio nationale. Mama « est mort chez lui » tandis que Fatièma « a été rappelé à Dieu » dans un grand hôpital en France et « sa dépouille mortelle » est arrivée à bord d’un vol spécial.

La mutation de notre société a fait que même face à la mort, l’injustice se dévoile. Pourtant, le vieux Mama et Fatièma « sont tous morts de la même mort ». Mais tous les morts sont-ils égaux ? Quelle est la différence entre « le cadavre et la dépouille mortelle » ? La réponse à ces questions d’ici-bas sont vite trouvées : pendant qu’un monde des grands jours prenait d’assaut le domicile du « richissime mort » avec à la clé la valse des voitures de luxe, la cours du vieux Mama était quasiment vide. Seule sa famille est là. Fatièma est conduit à sa dernière demeure en cercueil porté par une voiture de luxe et suivi d’une centaine d’autres pendant que celui de Mama ira au cimetière sur une charrette tirée par un âne parce que curieusement, le corbillard du quartier est tombé en panne ce jour-là.

Une pièce à l’émotion variable

Douroudimiest une pièce à l’émotion variable. Car au-delà de son caractère comique qui permet au spectateur de souffler de temps en temps, la pièce provoque chez ce même spectateur un sentiment de compassion voire de pitié. En effet, si la saga « mortuaire » du duel Fatièma-Mama, est teintée d’humour, les circonstances de la mort des géniteurs du couple est loin d’être comique. Dans leurs souvenirs qui leur hanteront toute leur vie, le miséreux père de Douroudimi meurt écrasé par la voiture d’un député et le comble c’est qu’on s’inquiète de l’état du véhicule que celui de la victime dont certains vont jusqu’à qualifier de fou. Que dire du père de Djouma qui après une lutte acharnée de longues années contre une hernie, lâche finalement la corde de la vie en pleine circulation sous le regard des passants ?   

Pour la mise en en scène de Douroudimi, Moussa Sanou a opté pour une scénographie minimaliste qui correspond parfaitement de l’état misérabiliste de ses personnages. Pour ce faire, le metteur en scène n’a eu besoin que d’un lit en fer au côté duquel il a placé un table-banc et sur lequel sont posés une radio et un gobelet. Dans la deuxième partie, le couple sort de la chambre et le lit est donc exclu du décor donnant plus d’espace aux comédiens dans leur mouvement. Avec un plan fixe, la lumière a bien été gérée par les techniciens d’Acte Sept.

L’expérience des comédiens soutenue par la maitrise du texte constitue un grand atout pour la réussite de ce spectacle qui pointe du doigt la perte des valeurs fondamentales de solidarité et d’humanisme dans nos sociétés actuelles où le matériel prime sur l’humain. Cette pièce nous invite à renouer avec nos valeurs anciennes qui mettaient l’Homme au-dessus de toutes les richesses matérielles de ce bas-monde.

Youssouf Koné                     

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