Théâtre : « Elle en elle », une vie sous le poids d’une autre

L’espace Walaha a accueilli le mercredi dernier « Elle en elle », un spectacle captivant. Né de la plume de Habibatou Diarra, il a été joué par trois comédiens : Isabelle Sianwa Koné, Marie Raïssa Zaïre Coulibaly et Djelimory Diabaté. La mise en scène a été assurée par Gbènakpon Todego.

Sur la scène dominée par une semi-obscurité, apparaissent deux silhouettes. Elles sont immobiles. Rien ne les perturbe, ni la nuit qui enveloppe la salle de spectacle à ciel ouvert, ni les notes qui naissent de cette Kora sortie de nulle part. Ces notes qui volent, qui déchirent l’atmosphère pour aller trépasser dans l’ouïe du spectateur. L’homme à la Kora, le griot, vêtu d’un grand boubou, animé d’une sérénité sans pareil, s’aventure. Lentement, il rejoint la scène via l’allée qui sépare le public en deux blocs. Sa voix s’élève, elle surfe sur la musique qu’engendre la Kora. Son sujet, la mort, intéresse. La salle est attentive : « Riche ou pauvres, la mort ne fait pas de distinction », enseigne-t-il.

Spectacle “Elle en elle

Quand la lumière commence à bouffer l’obscurité, les silhouettes apparaissent plus nettement. Deux femmes, sinon une fille et sa mère. Mieux, deux êtres : « L’auteur a pris comme élément l’individu. Nous avons un dialogue entre deux femmes sur scène mais c’est l’humain qui est au centre de la pièce », explique le metteur en scène Todego venu tout droit du Bénin pour le travail concernant cette représentation.  

La question de la dépression au cœur du texte

Le texte marque tout de suite par son côté déchainé, son caractère explosif. Les coups portés par les mots sont violents, furieux, volcaniques à la limite. Le bamananakan et le français, comme deux amants damnés, s’envoient en l’air sans retenu sur la place publique. « C’est un choix, car je ne pouvais pas appeler les choses autrement que par leur nom », assume l’auteure, Habibatou Diarra.

Spectacle “Elle en elle

« Elle en elle » est une pluie de prose sous laquelle les aveux baignent. La dépression subit par une vie sous le poids d’une autre est le sujet central. La fille qui accepte de faire des études de médecine pour plaire à sa mère et qui finit par se retrouver dans un centre de santé où travailler, pour elle, est une torture qu’elle s’inflige. Grand est le regret, important sont les dégâts. Les mots pour exprimer son traumatisme restent fidèles au style assumé par l’autrice : « La femme que j’ai déchiré jusqu’à l’anus, qui peine à s’assoir… je chie ce que ma mère mange ».

« En Afrique, nous avons cette impression que les gens sont tout le temps joyeux, qu’ils n’ont pas de soucis, alors qu’au fond, nous vivons tous notre traumatisme, chacun à sa manière », explique le metteur en scène.

De l’action, du jeu d’acteur, du théâtre tout simplement. Les trois comédiens, Sianwa Isabelle Koné, Marie Raïssa Zaïre Coulibaly et Djelimory Diabaté, ont incarné les personnages avec brio.

Fruit d’une résidence d’écriture

« Elle en elle », sorti de résidence, a été repéré au Bénin dans le cadre de la lecture des textes pour le programme « Texte à scène » qui est un projet de résidence d’écriture, de création et de diffusion de spectacles dont les textes finissent par être édités, et les spectacles joués un peu partout en Afrique.

Spectacle “Elle en elle

Lorsque le texte est accepté, les auteurs font deux résidences : d’abord une première sur l’écriture dramatique et une autre sur l’écriture au bord du plateau. « Le fragment qui sort de la première résidence rencontre un metteur en scène qui a des comédiens et des comédiennes qui portent le texte sur scène. Le texte d’Abibatou Diarra avait quelque chose d’assez spéciale, c’est pourquoi le comité de lecture l’a retenu », ajoute Todogo.

Tout ce processus s’inscrit dans un autre grand programme de formation itinérant appelé « Théâtre comme voyage ». Un programme né d’une envie de partager les compétences et les connaissances acquises sur le continent à l’endroit des jeunes qui sont en phase de professionnalisation dans le domaine du spectacle vivant.

Issouf Koné

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