La troupe de théâtre malienne, Team théâtre, a représenté le vendredi 28 octobre dernier, au Palais de la culture Amadou Hampaté Bâ de Bamako, la pièce de théâtre « Zone Franche » du dramaturge camerounais Edouard Alvis Bvouma. Cette représentation s’inscrit dans le cadre du programme « Kènèkan Plus », un projet de formation, de création et de diffusion de spectacles de théâtre initié par l’entrepreneur culturel et metteur en scène malien, Levis Togo.
L’intitulé Zone Franche maintient le spectateur dans un flou subtil au premier contact. Mais son sens propre se dévoile au fur et à mesure que les tableaux, portés par les comédiens Akhib Diallo dans le rôle du sans papier, Abdoulaye Cissé (inspecteur de la brigade de refoulements) et Marie Raïssa Zaï Coulibaly (commise d’office), se succèdent.
La première scène de la pièce montre un homme assis sur une chaise en face d’une table et une seconde chaise, dans une salle d’interrogation. L’homme semble être préoccupé, voire angoissé. Il est dans une profonde méditation. Il sera tiré de celle-ci par une femme, son avocate commise d’office. Au fil des échanges, le spectateur est imprégné davantage sur le contexte de l’intrique de la pièce. Il s’agit d’un immigré, un sans papier en France venu d’Afrique et qui attend son jugement et son expulsion prochaine, car arrivé frauduleusement sur le sol français.
Les raisons ayant poussé le sans papier à venir clandestinement en France et une vaine tentative de le convaincre de retourner chez lui en Afrique constituent le fil conducteur de la pièce, dont la trame relèvera progressivement les liens historiques et actuels entre l’Afrique et la France, notamment la colonisation et ses conséquences sur le continent africain.
Un obsédé de la France
Le sans papier est obsédé par la France. Il va jusqu’à se faire appeler Franc de Gaulle (en référence au général Charles de Gaulle). Il n’hésite pas à se lancer dans des gymnastiques verbales et métaphores pour tenter de prouver son appartenance à la France au regard des liens qui unissent la France et l’Afrique. Le convaincre de retrouver dans son pays est un parcours de combattant pour l’avocate et l’inspecteur.
L’histoire de Franc de Gaulle est unique et inattendue. Si la plupart des immigrés clandestins empruntent la mer pour rejoindre l’Europe, lui ne prendra pas ce risque. Son choix est à la fois risqué et ingénieux. Ce sans papier arrive en France dans un tronc d’arbre à bord d’un avion. En effet, après qu’on lui ait refusé le visa français, il se fait recruter dans une société d’exportation de bois vers la France.
Durant plusieurs mois de préparation de son voyage illégal, il creuse dans un tronc d’un arbre du lot de bois destiné à la France. Dans le tronc d’arbre, il y met un viatique pour sa traversée. Franc de Gaulle débarque donc en France dans ce tronc d’arbre et atterrit dans une usine de fabrication de papier où le bois est la matière principale. Il est sauvé in extrémiste et conduit dans un centre de détention pour immigrés clandestins.
Une mise en scène simple et efficace
Durant les deux jours d’intenses interrogations (comme la mise en scène nous laisse voir) où la commise d’office et l’inspecteur de la brigade de refoulements se succèdent, l’ironie sur les liens historiques et actuels entre la France et l’Afrique francophone est de mise. L’ancienne puissance coloniale au cours de son règne à imposer son école et sa religion, la religion. La question de l’amour n’est pas moins évoquée dans la pièce. Car le sans papier, à travers son excellent jeu de mots finira par faire craquer la commise d’office à qui il est prêt à se marier pour éviter son expulsion. Cette dernière consent et accepte de le défendre au procès. Franc va-t-il resté en sa chère France ?
Coté mise en scène, Aboubacar Sidibé a su la faire simple. Il a misé sur une scénographie sobre dans laquelle, la chambre de l’immigré fait office d’une salle d’interrogation. Côté jardin : le lit du sans papier. La table et les chaises sont placées côté cour de la scène. La mise en scène a été soutenue par une régie réussie assurée par Moussa Sory Diakité avec une bonne gestion de la lumière. Le texte a été excellemment rendu par les acteurs. Cependant, l’occupation scénique des acteurs n’est pas sans reproche. En effet, le déplacement scénique, la posture et la gestuel des acteurs révèle quelques imperfections.
« Zone Franche » est un texte qui en dit « ironiquement » long sur les liens entre la puissance coloniale, (la France) et ses colonisés, (l’Afrique francophone) et l’obsession de certains ressortissants de cette zone à rejoindre, contre vents et marées, la France mère, en laquelle ils voient l’unique destination pour changer leur vie.
Youssouf Koné
