Pour sa 14e édition, la Biennale de Dakar met à l’honneur l’artiste plasticien malien Abdoulaye Konaté, à travers un vibrant hommage. Un geste qui sonne pour beaucoup comme la reconnaissance de plusieurs décennies de travail d’un artiste qui aura contribué et qui continue encore au rayonnement de l’art contemporain africain sur l’échiquier mondial.
L’ancien palais de Justice de Dakar accueille les œuvres d’artistes de renommée internationale dans l’exposition internationale de la 14e édition de la Biennale. Dans une salle majestueuse de l’enceinte, devenu un symbole fort de l’art contemporain africain, sont accrochées les œuvres imposantes de l’artiste Abdoulaye Konaté, le mettant à l’honneur.
Les couleurs sont annoncées dès l’entrée de la salle où le visiteur est accueilli par une photo de l’homme en costume couleur grise, royalement affichée ainsi que son parcours et sa biographie respectivement à sa droite et à sa gauche. Sous son nom est marqué « Le maitre ». « C’est un grand artistes ce monsieur. J’ai déjà vu ses œuvres au Maroc », lance une visiteuse arabe en franchissant le seuil de la salle. A l’intérieur, une dizaine de toiles aux formats divers et une variété de couleurs scintillantes qui mettent en exergue le saisissant univers chromatique d’un artiste à la démarche atypique.
Une démarche et un parcours de géant
« Du côté de la démarche qui guide son travail, deux lignes de force traversent l’œuvre de Konaté : esthétique et sociopolitique. D’une part, l’esthétique résulte d’un travail de la matière. La dextérité de l’artiste repose dans sa capacité à jouer du textile, en lui donnant des reliefs et des formes, avec une graduation des coloris qui suggère le mouvement rien que sur la base de la nuance des teintes », analyse le critique et historien de l’art sénégalais El Hadji Malick Ndiaye non moins Conservateur du Musée Théodore Monod de Dakar. Selon lui, les œuvres d’Abdoulaye Konaté sont des partitions de drame humain et d’inconscience collective qui évoquent les maux des hommes et leur difficulté à forger ensemble un destin commun.
Après des débuts dans la peinture, sa pratique évolue dans les années 90 pour s’orienter vers le textile qu’il redécouvre et s’approprie pour réaliser ses œuvres. Le bazin, tissu très prisé au Mali, est teinté avec des pigments dont il joue des nuances pour orchestrer une véritable symphonie de couleurs. Il compose avec des languettes de bazin qui, mises bout à bout et superposées, donnent des œuvres magistrales entre peinture, sculpture et installation. Cette démarche dont il le seul à détenir le secret lui a permet au fil des décennies de forger une solide réputation dans le monde de l’art contemporain africain et mondial.
Abdoulaye Konaté a sillonné les quatre coins du monde avec à son actif de nombreux prix dont le Grand Prix Léopold Sédar Senghor de la Biennale d’Art Contemporain Africain de Dakar en 1996. Il a aussi décoré officier de l’Ordre national du Mali en 2009 et Chevalier des Arts et des Lettres de la République française en 2002.
Documenta 12 de Kassel en 2007, Africa Remix à Londres, Centre Georges Pompidou de Paris et au Musée d’Art Mori à Tokyo de 2004 à 2007), La Divine Comédie itinérante au Musée d’Art Moderne de Kunst à Frankfurt en 2014, SCAD Musée d’Art, Savannah, Georgie, USA de 2014- 2015), Musée National d’Art Africain, Smithsonian Institute, Washington, USA(2015), Biennale internationale d’Irlande, Eva (2016) sont entre autres les nombreux expositions auxquelles il a participé à travers le monde.
Inspirer la jeune génération
En cet hommage au peintre malien, beaucoup voient l’expression de la reconnaissance du talent et de plusieurs décennies de travail d’un artiste qui aura contribué et qui continue à faire rayonner l’art contemporain africain sur l’échiquier mondial. Mais il est avant tout une fierté pour son pays :« L’hommage rendu à notre compatriote, le maitre Abdoulaye Konaté est un motif de fierté pour nous Maliens et pour le Mali, déclare Mamou Daffé, expert culturel malien, parce que pour qui connait Abdoulaye Konaté, pour qui connait la qualité de ses œuvres et la profondeur de son travail artistique, c’est un maitre, un génie de la toile et du pagne tissé, un génie de la gestion du travail de la cotonnade. Au-delà d’être un maitre, Abdoulaye est une pièce unique.»
Barthélémy Toguo est l’une des figures emblématiques des arts plastiques au Cameroun. Lui et Abdoulaye Konaté se connaissent depuis des années. A ses dires, « Abdoulaye est un grand travailleur, un homme professionnel. La Biennale de Dakar a bien fait d’honorer celui dont le parcours flamboyant va donner une motivation à la jeune génération ».
C’est un hommage amplement mérité selon le sculpteur burkinabé Ky Siriki. Ce dernier estime qu’Abdoulaye a fortement contribué à la reconnaissance dont jouit aujourd’hui l’art contemporain africain dont il est un grand ambassadeur : « Depuis des années, Abdoulaye abat un travail incroyable qui a permis que le travail des artistes africains soit reconnu dans le monde. Aujourd’hui, son travail s’est imposé partout dans le monde, sur toutes les plateformes tant en Afrique, en Europe, en Amérique qu’en Asie. Abdoulaye est une référence aujourd’hui dans le monde », a-t-il ajouté.
Un artiste philanthrope
Pour le président du Fonds africain pour la culture (ACF), Mamou Daffé, Abdoulaye, au-delà d’être un grand artiste, est un philanthrope qui a le sens du partage avec la nouvelle génération. « L’homme est fortement engagé sur tout le continent avec ses œuvres, pour financer les jeunes artistes de Cap Town à Marrakech depuis environ 5 ans à travers le Fonds africain pour la culture (ACF), ce qui est très important, qui interpelle tous les africains sur leur devoir de solidarité et leur responsabilité pour le continent », salut-il.
Grand bosseur mais peu bavard, Abdoulaye Konaté accueille cette consécration comme un défi, une motivation pour aller encore plus loin dans son vaste champ artistique qu’il ne cesse d’explorer : « Quand on rend hommage à une personne, c’est toujours une joie qui s’empare d’elle. C’est une occasion pour moi de doubler encore plus d’efforts pour aider surtout les jeunes artistes à progresser. Je ne peux que remercier les organisateurs de la biennale de Dakar et les autorités sénégalaises qui contribuent au développement de l’art au Sénégal », confie Abdoulaye Konaté.
Cette reconnaissance n’est pas le fruit du hasard. Il a fallu des années de dur labeur à l’artiste pour atteindre ce niveau. Selon l’honoré, il n’y a pas de potion magique à la réussite. Seul le travail, la persévérance et la patience conduisent à un tel résultat. « Les jeunes doivent beaucoup travailler, être patients, écouter les conseils des ainés. Mais j’insiste beaucoup sur le travail. Il faut que les gens travaillent », conclut-il
Youssouf Koné, envoyé spécial à Dakar