La France sur les papiers, la culture malienne dans le cœur. Avec plus d’une cinquantaine d’ouvrages à son actif (essaies, textes de théâtre, scenarios de long métrages et séries, ouvrages collectifs…), Jean-Louis Sagot-Duvauroux, philosophe, dramaturge et directeur de théâtre, est un acteur très engagé de la vie culturelle malienne depuis cinquante ans.
Fin d’année 2016. Nous sommes à Faladiè, en commune V du district de Bamako. Chez Jean-Louis Sagot-Duvauroux. L’ambiance est au rendez-vous car c’est un jour spécial pour « Le président à vie », comme le surnomment ses collaborateurs. Jean-Louis qui fête son anniversaire, est né un 26 décembre. Il est ouvert, écoute et est écouté. Son côté humain captive. De temps en temps, avec les jeunes artistes présents, une petite histoire sur la France ou sur le Mali est partagée. Cerise sur le gâteau, il ne manque pas d’humour : « Vous n’avez pas remarqué que Jésus a failli naître le même jour que votre président à vie ?» plaisante-t-il. Rire collectif.
Le culture malienne et Jean-Louis Sagot-Duvauroux, c’est une longue histoire. Lorsqu’il arrive pour la première fois au Mali, en 1972, il est loin d’imaginer qu’il y sera lié à vie. D’abord professeur de français au Lycée Prospère Camara, il finit par se faire des amis dans le milieu culturel. C’est le début d’une aventure riche en créations artistiques.
De « Mandéka Théâtre » à « Blonba »
Auteur du scénario de « La Genèse », long métrage malien réalisé par Cheick Oumar Sissoko (Sélection officielle au festival de Cannes 1999), il est à l’initiative de la compagnie théâtrale « Mandéka Théâtre », qui regroupait d’autres acteurs importants de la culture malienne comme feu Sotigui Kouyaté et Habib Dembélé (Guimba national). Cette idée de mettre en place Mandeka Théâtre est née en 1997, sur le plateau de tournage de La Genèse.
La compagnie, qui est ensuite rejoint par Alioune Ifra Ndiaye, ne fera pas long feu. Sotigui Kouyaté et Habib Dembélé arrêtent l’aventure. Jean-Louis et Alioune décident de la poursuivre avec la création d’une autre structure en 1998 : La compagnie Blonba.
Au sein de cette nouvelle maison, il écrit surtout. Plus de vingt pièces de théâtre ont été écrites ou co-écrites par l’homme et ont été jouées dans plus de 14 pays, de 2000 à maintenant. On pourrait citer entre autres Le Retour de Bougouniéré, un véritable succès, représenté près de cent fois en Afrique et en Europe, Ségou Fassa, en 2002, Bougouniéré invite à Diner en 2005 ou encore Vérité de soldat, une docufiction théâtrale réalisée à partir de l’œuvre Ma vie de soldat du capitaine Soungalo Samake.
Théâtre et Hip hop
Très intéressé par les activités de la nouvelle génération d’artistes maliens, il a un penchant pour le rap qu’il voit comme un excellent moyen de combat. Le pouvoir de cette musique le fascine. Jean-Louis apprécie son côté contestataire, utile pour faire passer les revendications du peuple. « Au Mali, on a un rap très patriotique qui met en valeur le drapeau : ça lui donne une coloration très particulière, qui correspond aux revendications de la nation malienne. Ces artistes sont devenus une partie de la conscience civique du Mali » déclare-t-il lors d’une interview en 2012, lorsqu’il écrivait Plus fort que mon père
Depuis 2010, il développe un genre de spectacle musical alliant cette discipline du Hip hop au théâtre. La première expérience a été Bama Saba, avec les artistes rappeurs Amkoullel, Lassy King Massassy et Ramsès Damarifa du groupe Tata Pound. Ce premier projet, avec la mise en scène assurée par Alioune Ifra Ndiaye, a connu un énorme succès et a poussé Jean-Louis a continuer dans cette lancée avec l’écriture de L’homme aux six noms (2011),joué par King Massassi, Plus fort que mon père, avec Ramsès Damarifa et Michel Sangaré en 2013 et tout récemment Les énigmes du Konkga, un récit basé sur l’histoire du danseur Modibo Konaté. Que des portraits d’artistes, joués par les concernés eux-mêmes.
Jean-Louis Sagot-Duvauroux est directeur du théâtre de l’Arlequin, situé à Morsang-Sur-org, dans l’Essonne en région parisienne. Ce théâtre, confié à l’antenne française de BlonBa, devenue aujourd’hui BaraDa, travaille en collaboration avec l’association malienne Culture en partage pour produire des spectacles qui, chaque année, vont à la rencontre des populations bamakoises et tournent ensuite dans des théâtres, écoles et festivals en France.
Plus qu’une association, Culture en partage dont il suit de près les activités en tant que conseiller, est un réseau qui regroupe des jeunes artistes de plusieurs domaines, du numérique au spectacle vivant en passant par l’édition, avec notamment la création de Bibook Africa, une maison d’édition numérique, développée par l’entreprise We’re solution. Le réseau va au-delà du Mali.
« Il a tout donné au Mali »
Il croit fortement en l’Afrique et en sa jeunesse. Pour lui, le temps où l’on parlait à l’Afrique comme à un enfant, sans accorder d’importance à ce qu’elle avait à dire est en train de s’épuiser : « Le futur de la culture malienne, soutient-t-il, c’est de réintégrer dans la conversation mondiale la riche singularité de sa civilisation, c’est de rendre sa parole et sa grandeur à cette facette de notre humanité commune ».
Le marionnettiste Yaya Coulibaly l’apprécie justement pour ce côté militant. Lui qui côtoie Jean-Louis depuis quatre décennies, le décrit comme quelqu’un de profondément engagé pour la culture malienne : « Jean-Louis aime trop le Mali. C’est un homme qui a beaucoup donné à la culture malienne et qui continue de le faire. Un grand monsieur que nous devons honorer ».
Dans sa collection de plus de 25 000 pièces, chez lui à Magnambougou, Yaya détient une marionnette à l’effigie du dramaturge. « C’est ma manière à moi de lui rendre hommage. Il mérite plus », termine-t-il.
Issouf Koné