Redonner son éclat d’antan et toute sa place au kotèba au sein de la société en l’adaptant aux codes de la création moderne en vue de sa revalorisation et sa professionnalisation, tel était l’objectif de la Foreckoma (Formation des rencontres culturelles de kotèba de Massantola) tenue du 1er au 7 mars 2024 à Massantalo dans le Bèlèdougou. Une initiative du Centre malien de l’Institut international du théâtre ITI-Mali soutenue par le projet Donko Ni Maaya de la GIZ.
Dans la matinée du jeudi 7 mars 2024, aux environs de 10 heures, l’espace poussiéreux près du « campement » de Massantola, jouxtant l’un des plus grands baobabs du village, s’apprête à accueillir la restitution de la Foreckoma (formation des rencontres culturelles du kotèba de Massantola). Ladite formation ayant regroupé des troupes de kotèba de 7 villages de la commune de Massantalo s’est déroulée du 1er au du 7 mars 2024.
De l’autre côté du baobab, sous l’ombre des murs et arbres, les artistes apportent les dernières touches avant leur apparition sur la scène où un public enthousiaste les attend impatiemment. Toutefois, par ces temps d’harmattan, l’arroge de l’espace de spectacle s’impose. Pour ce faire une vingtaine de jeunes filles (dont des élèves libérées pour l’occasion) constituée en quelques groupes, sauts sur la tête, font quelques tours aux puits du village et l’espace est prêt afin à accueillir les 70 artistes pour leur performance. L’exercice est saisissant. Il s’agit pour les troupes de rendre, en deux heures de temps, ce qu’ils ont appris durant les sept jours de la formation.
Le kotèba, un patrimoine à préserver
Une première troupe composée de chanteurs, instrumentalistes et danseurs font leur apparition à travers chants et pas de danse dignes du kotèba du terroir. On constate une nette amélioration dans l’exécution. Le niveau de maitrise dépasse largement celui des premiers jours de formation. Même constat chez les acteurs du théâtre également qui ont offert le second tableau de cette restitution avec un spectacle qui dépeint un conflit opposant éleveurs et agriculteurs. Un thème d’actualité dans un Mali traversant depuis plus d’une décennie une crise ponctuée de terrorisme et des conflits intercommunautaires. Les conteurs Salif Berthé et Amaïchata Salamanta étaient également invités à cette restitution.
Forme théâtrale, le kotèba fait partie prenante de l’action sociale au Mali voir en Afrique de l’ouest. Originaire du Mali, c’est une forme théâtrale traditionnelle bambara vieux de plus de deux siècles. Théâtre participatif, le kotèba est joué à la place publique. Exécuté par un groupe hiérarchisé qu’on appelle le ton, le kotèba vise à décider les communautés à se débarrasser des mauvais comportements pour préserver la cohésion sociale. Cet art ancestral né dans le Bèlèdougou y était pourtant menacé de disparation.
Il a fallu donc des initiatives pour le préserver d’où la naissance en 2021, des Rencontres culturelles de kotèba de Massantola (Reckoma), un festival qui tente, tant bien que mal de sauvegarder ce patrimoine inscrit en octobre 2022 à l’inventaire du patrimoine culturel national du Mali par le Ministère de l’artisanat, de la culture, de l’industrie hôtelière et du tourisme. Cette action marque un grand pas dans la sauvegarde du kotèba et vient en soutien aux efforts des Reckoma qui depuis 4 ans font de la préservation et de la promotion de cette pratique son cheval de bataille.
Professionnaliser les troupes de kotèba
«Quand on organisait la première édition des Reckoma en 2021, on n’a pu avoir que 4 troupes de kotèba dans la commune de Massantola qui compte une quarantaine de villages. Et le problème était que sur les 4 troupes, il y’en avait qu’une seule qui avait toutes les parties du kotèba dans sa pratique à savoir la procession d’entrée, la partie consacrée à la danse et la partie saynète », nous confie Mahamane Diarra, président du Centre de l’Institut international du théâtre ITI-Mali qui a décidé d’initier cette formation qui vise, selon lui, un double objectif : contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine menacé et le professionnaliser afin de permettre à ces pratiquants de pouvoir vivre de leur art.
De ce fait, sept (7) troupes de kotèba (10 personnes par troupe) issues de 7 villages de la commune de Massantola ont pris part à cette formation dirigée par des professionnels du théâtre, de la danse et des spécialistes du kotèba comme Aguibou Dembélé, Professeur de théâtre au Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasséké Kouyaté de Bamako (CAMM), les comédiens d’expériences Issa Coulibaly et Fatoumata Coulibaly « FC », Hamadou Sanogo, Professeur de danse au CAMM, Mamadou Sangaré, administrateur des arts et de la Culture. Ils ont été épaulés par des formateurs locaux comme Djécoro Diarra, Kanégué Diarra (Massantola) et N’Dikin Traoré de Kolon (commune de Massantola).
La comédie des mots, de geste et de situation
Après une première journée en tronc commun consacrée à la genèse et à l’historique de l’art du kotèba, une répartition a été faite dès le deuxième jour avec la constitution de trois groupes à savoir celui composé de chanteurs et instrumentistes, celui des danseurs et celui des comédiens. Coté dramaturgie : « L’idée pour nous c’était de leur aider à perfectionner leur pratique en les aidant à mieux la structurer. Nous étions là pour leur donner les outils dramaturgiques. Les acteurs du kotèba sont formés de telle manière qu’ils ont l’expression corporelle, vocale et beaucoup d’humour. Il faut qu’ils aient les trois situations de la comédie à savoir la comédie des mots, la comédie du geste et la comédie de situation »,explique le professeur Dembélé.
« Ce sont des artistes qui ont déjà la maitrise. Il fallait juste structurer un peu la musique du kotèba et leur manière de chanter sans pour autant déborder en temps et en tempo, comment harmoniser leurs chansons avec les instruments et trouver quelque chose de cohérent et potable mais surtout adaptée à la scène moderne », ajoute Issa Coulibaly. « Nous sommes très contents de recevoir toutes ses figures de la scène artistique malienne chez nous. Cela nous prouve une fois plus toute l’importance du kotèba. Nous saluons cette initiative qui va sans doute nous aider à préserver notre patrimoine. Je crois que la formation est primordiale dans tout ce qu’on fait dans la vie. Elle nous permet d’évoluer en ouvrant de nouvelles perspectives », nous a confié Djécoro Diarra, 1er adjoint au maire de Massantola
Une belle moisson
Pionnier du kotèba sur la scène moderne pour avoir été le premier metteur en scène à porter cet art ancestral sur les planchers en 1979 avec le groupe dramatique national du Mali, devenue le kotèba national par la suite, Aguibou Dembélé salue cette initiative à sa juste valeur. « Le kotèba est diffèrent du jeu occidental par ce qu’il mélange le burlesque, la farce, le clown et la comédie. J’ai donné des formations de kotèba un peu partout en Afrique de l’ouest et en France et le constat que j’ai fait durant tout ce parcours, c’est que l’acteur de kotèba qui est né au village qui a appris le kotèba au village est beaucoup plus fécond que celui qui travaille sur un texte écrit car sa force c’est l’improvisation », nous explique M. Dembélé selon qui il est facile pour ces artistes de devenir des acteurs incontournables du kotèba car ils ont déjà une base solide et originale dans cet art : « Quand des formateurs ouverts rencontrent des apprenants fertiles, ça donne belle moisson et la moisson au terme de cette semaine de formation a été vraiment belle et nous sommes tous satisfaits du résultat » félicite M. Dembélé.
« Ce kotèba que nous connaissons aujourd’hui dans ces villages n’est celui que nous avons connu à l’enfance ni étudié à l’école. Il a drastiquement perdu de son originalité dans la pratique. L’objectif de cette formation est de vivre le kotèba dans son contexte originel. Car nous savons que le kotèba est né dans le Bèlèbougou et fait partie intégrante des cultures et traditions de cette localité. Si nous arrivons à faire revivre le kotèba ici, on aura réussi à sauver ce patrimoine », avait lancé Mahamane Diarra à l’ouverture de la formation. Et c’est avec un sentiment d’accomplissement qu’il s’est confié le jour de la restitution : « j’ai été émerveillé par le résultat de cette formation. On avait des artistes amateurs au démarrage et avec ce que je viens de voir lors de la restitution, je crois qu’ils ont fait effectué un grand pas vers le cercle professionnel » s’est-il réjoui.
Naissance d’une troupe communale
Fadjou Traoré est l’un des leads vocaux de la troupe qui a été mise en place à l’issue de la formation. En une dizaine d’année de pratique du kotèba, il n’avait jamais cru possible certaines innovations dans cet art : « Cette formation nous a beaucoup apporté. Nous avons appris qu’il est possible d’avoir plusieurs pas de danse dans un seul titre de kotèba. Nous sommes très satisfaits de ce que nous avons appris et je crois que cela nous donne confiance à amener cet art partout ». « C’est la première fois pour nous de voir plusieurs corps de kotèba jouer ensemble sur un même titre. Tout ça grâce à la formation. Je crois que le kotèba peut être aujourd’hui un outil efficace de sensibilisation des populations », nous lance Kaoulé Diarra, un habitant de Massantolo.
Cette formation marque un tournant majeur dans la démarche de promotion du kotèba. « C’est un départ irrévocable de cet art», selon les organisateurs, vers la professionnalisation et donc son retour sur les grandes scènes artistiques et culturelles. Elle marque également la naissance d’une troupe communale à Massamtola et dans le Bèlèdougou considéré d’ailleurs comme la matrice du kotèba. Cette nouvelle troupe sera programmée à la 4e édition des Reckoma prévue du 2 au 5 mai 2024 à Massantola.
Youssouf Koné
